Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/149

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les faisait prendre en défiance par le prolétariat. Quant aux radicaux, même les plus avancés eussent reculé devant la violence. Manifestement l’agitation que l’on s’efforçait de soulever ne pouvait inquiéter et d’ailleurs n’inquiétait pas le gouvernement. En prenant le pouvoir, le Cabinet libéral avait jugé suffisant, pour contenter les partisans de la réforme, d’un projet de loi introduisant dans le corps électoral les personnes inscrites sur les listes du jury (14 février).

Quelques jours plus tard tombait à Bruxelles la nouvelle de l’insurrection de Paris et de la fuite de Louis-Philippe. Ce fut tout d’abord un moment de stupeur et de désarroi. La proclamation de la République allait-elle déchaîner de nouveau la France sur l’Europe ? L’ordre politique et l’ordre social, que la bourgeoisie croyait définitivement établis sur les « immortels principes » de 1789, étaient-ils destinés à subir une fois de plus l’assaut du jacobinisme ? Et que deviendrait dans la tourmente l’indépendance nationale et cette constitution dont on était si fier ? L’absence de nouvelles précises augmentait encore la panique. Le bruit se répandait que le roi songeait à abdiquer, que les Français étaient en marche pour instaurer la république à Bruxelles. Dans toutes les villes, la foule se ruait sur les banques, réclamant la restitution de ses dépôts et le remboursement de ses billets en argent comptant. En quelques jours, le cours des fonds publics baissait de 50 %.

Au milieu de cet affolement, le gouvernement ne perdit pas la tête. Il savait bien que la foi, la tradition et la mystique révolutionnaires qui s’étaient conservées en France sous tous les régimes et venaient de s’y affirmer si soudainement, n’existaient en Belgique que chez un petit nombre d’idéalistes généreux mais sans influence et sans audace ; que si quelques têtes chaudes pouvaient risquer un mouvement, l’absence de préparation et l’hostilité certaine de l’opinion les condamnaient d’avance à un échec ; que le peuple, malgré ses souffrances, ne se laisserait pas entraîner ; qu’au surplus, le respect général dont la constitution était entourée, garantissait le régime qu’elle avait fondé ; qu’aucun péril n’était donc à craindre si la bourgeoisie, au lieu de se diviser comme elle venait de le