Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/173

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non seulement comme son honneur et sa force, mais comme la condition même de son existence. Henri de Brouckère le constatait en termes excellents dans un mémoire destiné à se concilier l’appui du Cabinet de Londres contre les prétentions menaçantes de l’absolutisme. « Ce qui donne à la Belgique actuelle, disait-il, une physionomie propre, un caractère distinct, c’est principalement ce régime de libre discussion, ce self government dont elle use en définitive avec intelligence et sagesse. Enlevez ce régime à la Belgique, énervez-le seulement et ce jeune État perd toute sa virilité, toute sa confiance en lui-même. Vous le détachez de cette indépendance qui est pour vous un boulevard, vous détruisez la popularité et le prestige de la royauté ; vous lui ôtez sa vie morale, sa raison d’être. Il devient dès ce moment un corps sans âme, une agrégation sans vigueur et sans avenir, la proie du premier venu qui offrira satisfaction et sécurité à ses intérêts matériels. La Belgique « matérialisée » deviendrait bientôt, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, une Belgique française ». Et il concluait avec émotion : « Notre constitution de 1831 est aujourd’hui la plus vieille du continent, elle est antérieure à la royauté belge, et le roi Léopold serait le premier à la défendre si elle était jamais menacée. Je ne connais pas du reste dans le pays un seul homme qui pût en concevoir la pensée. J’ai eu l’honneur de signer l’acte constitutionnel comme secrétaire du Congrès, et ma main se sécherait plutôt que d’y porter la moindre atteinte »[1].

Les circonstances paraissaient si graves qu’il fallut bien prendre des mesures de précaution. Le 8 juin 1853, une loi faisait passer l’effectif de l’armée de 80,000 à 100,000 hommes, et le roi écrivait à son premier ministre que, depuis 1848, la Belgique n’avait rien fait qui l’honorât davantage.

Le rapprochement anglo-français de 1854, qui devait aboutir à la campagne de Crimée, intervint à point pour diminuer la tension. Les relations de Léopold Ier avec la Cour de Londres faisaient de lui un agent de liaison qu’il ne fallait pas négliger. Lui-même se considérait, ainsi qu’il le déclarait un jour au mi-

  1. A. De Ridder, Le mariage de Léopold II, p. 186.