Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/38

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longtemps à diriger les destinées du pays. Déjà les Orangistes relevaient la tête et les républicains s’agitaient. Dès le 14 janvier, avant même la dérobade de Louis-Philippe, de Robaulx avait proposé de modifier la constitution et d’établir la république !

Que faire ? Personne ne se dissimulait l’urgence d’en finir avec le provisoire dans lequel on vivait et de se donner enfin un gouvernement. Aussi bien, la constitution étant achevée, il était temps d’inaugurer le régime qu’elle instaurait. Faute de roi, on se contenterait d’un régent. L’agitation des dernières semaines n’avait heureusement pas ébranlé l’union des partis. Dans tous deux il s’était rencontré des partisans de Nemours et des partisans de Leuchtenberg. Le 24 février, catholiques et libéraux se trouvèrent d’accord pour confier la régence au président du Congrès, le baron Érasme-Louis Surlet de Chokier. Le lendemain il était inauguré sans pompe et prêtait serment à la constitution. Un vote unanime déclarait que le Gouvernement provisoire avait bien mérité de la patrie. Il allait être remplacé par des ministres responsables devant le Congrès qui, en attendant l’élection future du Sénat et de la Chambre des Représentants, continuait à exercer le pouvoir législatif. Une phase nouvelle commençait dans la Révolution. Et c’est à ce moment que l’anarchie faillit tout emporter.

Rien n’atteste mieux l’impéritie politique du Congrès que l’élection du Régent. Dans les circonstances que l’on traversait, il eût fallu à la tête du pays un homme énergique à idées claires, connaissant l’Europe, capable de représenter la nation devant elle et de lui faire entendre sa voix. Or, ce qui manquait le plus à Surlet de Chokier, ce sont précisément ces qualités-là. C’était un petit gentilhomme liégeois, familier, bon enfant, ayant autant horreur du luxe et de la représentation que du travail, une sorte de Charles de Lorraine de village que l’on n’avait élu que parce que sympathique à tout le monde, il ne portait ombrage à personne. Agé de soixante ans, il avait une « noble figure, mélange de bonhomie et de finesse, avec une longue chevelure à la Boissy d’Anglas »[1]. La simplicité de

  1. Lebeau, Souvenirs, p. 126.