Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est pas que les déboires lui aient été épargnés. Prince d’Ancien Régime, il souffrit longtemps du dédain que les cours allemandes affectaient pour sa royauté révolutionnaire. En Belgique, la conduite des partis lui fit parfois maudire sa « couronne d’épines »[1], et il lui arriva de regretter d’avoir refusé le trône de Grèce. En 1839, en 1848, des accès passagers de découragement le firent parler de démission. Mais « l’humeur égale et facile, le calme philosophique qui étaient les traits saillants de son caractère »[2] reprenaient bientôt le dessus dans cette âme forte. Dédaignant la popularité, il ne craignait pas de se rendre impopulaire. Au fond, s’il gouverna d’accord avec l’opinion, il la méprisait[3]. Il n’éprouvait qu’antipathie pour ces libéraux et ces catholiques avec lesquels il ne dut plus cesser de compter à partir de 1839. Mais il ne les confondait ni avec le pays ni avec l’État. En somme, il resta toujours un étranger au milieu de son peuple et s’il se dévoua à son service, ce fut surtout par devoir, par conscience et par amour-propre. Les Belges de leur côté ne devaient l’apprécier à sa valeur que quand il ne fut plus. Ils reconnurent alors tout ce qu’ils lui devaient, et la gratitude publique assigna à sa statue sa vraie place en la posant au faîte de la colonne élevée en mémoire du Congrès national dont il avait achevé et couronné l’œuvre.


II


Il est difficile d’imaginer un ensemble de circonstances plus désastreux que celui au milieu duquel débuta le règne de Léopold Ier. On en attendait la paix et ce fut la guerre et la défaite qu’il apporta. Quel présage que d’apparaître tout d’abord à

  1. Bulletin de la Commission Royale d’Histoire, 1928, p. 267.
  2. Expressions du ministre français Boislecomte dans Gedenkstukken, loc. cit., t. II., p. 450.
  3. Son neveu, Ernest de Saxe Cobourg, Aus meinem Leben und aus meiner Zeit, t. III, p. 484, dit qu’il était tout à fait insensible à l’opinion publique et que ceux qui croient que le libéralisme consiste à se courber sous elle, « würden ihn ohne Zweifel für einen der illiberalsten Fürsten Europas gehalten haben ».