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les campagnes des paysans qui ne manquaient pas de se découvrir en passant devant la maison du seigneur[1]. En Flandre, l’influence de l’Église restait aussi puissante que jamais. Parmi les travailleurs de la grande industrie on ne surprend encore aucune idée de révolte. S’il éclate ça et là des grèves, si la misère pousse parfois à piller des boutiques ou à briser des machines, ce ne sont que sursauts momentanés, agitations impulsives et sans lendemain. Ces pauvres gens n’attendent que du ciel les remèdes à leur détresse. À Gand, en 1846, les ouvriers d’une usine dangereuse ne voient d’autre moyen d’échapper aux accidents que de faire dire des messes[2]. Parler de suffrage universel à des masses si dociles, c’est évidemment parler en pure perte. Leur confier cette arme redoutable, c’est plus évidemment encore les pousser à n’en faire usage que contre elles-mêmes. De Potter l’avouait quelques années plus tard. « Réaliser dans l’état actuel des intelligences, écrit-il, le suffrage universel, n’engendrerait que l’anarchie. Le peuple n’avait ni les lumières, ni la force de volonté indispensables pour réduire ses adversaires au silence et les ranger au devoir. La république, je le reconnais aujourd’hui, était impossible »[3].

Cette apathie du peuple belge fut sans doute pour beaucoup dans les tendances francophiles de Gendebien et de ses partisans. Ils attendirent de la démocratie française la réalisation de leur idéal. La propagande que des agitateurs parisiens tentèrent en 1834 au sein du peuple bruxellois soulevé contre les Orangistes[4], l’immixtion de socialistes et l’apparition du drapeau rouge dans les émeutes qui troublèrent alors la capitale, semblent bien indiquer une entente ou tout au moins une communauté de tendances parmi les républicains des deux côtés de la frontière. À partir de 1835, cependant, l’affermis-

  1. F. Rousseau, Légendes et coutumes du pays de Namur, p. 6 n. 1.
  2. Enquête sur la condition des classes ouvrières, etc., t. III, p. 447 (Bruxelles, 1846).
  3. De Potter, Souvenirs personnels, t. I, p. 192 (Bruxelles, 1839).
  4. A. De Ridder, Bulletin de la Commission royale d’Histoire, 1928, pp. 206, 265, 283, 297. Cf. le même, La crise de la neutralité belge en 1848, t. II, p. 237 (Bruxelles, 1928).