Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/86

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s’était donné. Quand Guillaume se reprit, il était trop tard. La période de croissance était passée et l’arbre trop solidement enraciné pour pouvoir être abattu.

La vénération générale et presque superstitieuse dont était entourée la constitution garantit plus efficacement encore l’union morale dont découla l’union politique. C’était une chose presque sacrée, une sorte de révélation, les tables de la loi. On la révérait comme une œuvre essentiellement nationale, une émanation de la souveraineté du peuple, antérieure et supérieure au roi lui-même. Sauf quelques pamphlétaires orangistes, personne n’ose élever la voix contre elle. De Potter lui-même et les républicains se gardent de l’attaquer ; tout au plus reprochent-ils à leurs adversaires d’en fausser l’esprit. Les libertés qu’elle prodigue lui confèrent une beauté sans rivale, aux yeux de cette génération de 1830, dont la Liberté est le généreux idéal. Catholiques et libéraux, tous communient en elle, parce que, à vrai dire, dans le sens profond du mot, tous sont libéraux.

En cette première heure d’enthousiasme, bien rares sont les hommes assez réfléchis ou assez sceptiques pour prévoir les conflits qu’implique la formule, l’Église libre dans l’État libre. Presque tous pensent, avec Nothomb, qu’il n’y a pas plus de rapports entre l’État et la religion, qu’entre l’État et la géométrie. Que les libertés garanties par la constitution soient d’origine divine ou qu’elles soient un droit naturel, tout le monde est d’accord pour n’en refuser le bénéfice à personne. En 1831, quand des bandes de fanatiques prétendent empêcher, à Bruxelles, les réunions des Saint-Simoniens, ce sont des catholiques comme Vilain XIIII et l’abbé de Haerne qui à la Chambre prennent la parole pour défendre le droit de réunion violé à leur préjudice[1]. Et la même année, le libéral Devaux n’hésite pas à reconnaître « que nous avons un clergé qui aime la liberté »[2].

Sans doute la réalité donne souvent le démenti des faits

  1. L. Hymans, Histoire parlementaire, t. V, 2e partie, p. 101.
  2. L. Hymans, Ibid., t. I, p. 23.