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de l’État. La rénovation devait venir nécessairement de cette partie du clergé la plus dégagée d’allégeances laïques, c’est-à-dire des moines.

A la différence de ce qui se passe pour l’État, le mal pour l’Église n’est qu’à la surface. Elle ressent le contre-coup de l’expansion féodale, mais sa constitution, puisqu’elle est en dehors de la société politique, n’en peut être atteinte. Si grand que soit son désordre, il ne détruit rien d’essentiel. L’organisation épiscopale subsiste comme subsistent les monastères ; et la piété aussi, car si la science et la discipline diminuent, elle augmente en ce sens qu’elle s’élargit. Les paroisses s’étendent sur le pays au xe siècle. Des églises rurales parsèment maintenant les campagnes. Les domaines monastiques, mieux organisés que ceux des laïcs attirent les hommes en masse. Quantité d’entre eux deviennent cerocensuales (c’est-à-dire serfs de l’église), appartiennent au saint patron du monastère, lui font une clientèle qui propage son culte et vante ses miracles. On est en pleine période de saints locaux comme de gouvernement local : Saint Lambert, Saint Hubert, Saint Bavon, Saint Trond. Ils sont comme les grands vassaux de Dieu sous la protection desquels on se place. Leurs reliques exercent une influence magique. Les moines les promènent dans le pays. Elles servent à détourner les chevaliers des guerres privées. Et la puissance miraculeuse qu’elles possèdent rejaillit sur les moines qui les gardent. Car les saints se trouvent en général dans les monastères, non dans les évêchés. L’influence des abbayes grandit aussi du fait que beaucoup d’églises rurales leur appartiennent ou en dépendent et ont des moines pour desservants. L’idéal que l’on a de la sainteté, c’est l’idéal monastique : le renoncement au siècle pour sauver son âme, abstraction faite de toute activité sociale, et même de tout autre vertu que celle du renoncement, de l’humilité, de la chasteté. Et c’est de là que devait venir le renouveau de l’Église, non des évêques qu’ils fussent à demi-féodaux comme en France ou fidèles à la tradition carolingienne comme en Allemagne. Leur science ne fait aucun effet sur ce public inculte. Il lui faut des saints et des thaumaturges.

En ceci, la féodalité pense d’autant plus comme le peuple, que les évêques sont pour elle des adversaires. Elle pille les monastères, mais elle les respecte et, à leur lit de mort, les princes qui les ont le plus pillés, leur font de larges donations. Tous vénèrent la sainteté et ils déplorent le désordre où sont tombés les monastères, encore qu’ils en soient la cause.