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traire, les rois ne sont nulle part chez eux. Ils restent fidèles à la coutume carolingienne d’errer par le pays. Ils ont des Pfalz (palais) ; ils n’ont pas de résidence fixe. Rien chez eux qui ressemble à l’île de France, et moins encore à Paris. Pourtant, jusqu’à la fin du xie siècle, leur pouvoir personnel est très grand. La lenteur avec laquelle le régime féodal s’est développé sur la rive droite du Rhin leur permet de disposer de quantité de terres et de comtés qui, en France, auraient été appropriés depuis longtemps par des seigneurs. Mais l’état économique ne leur permet pas — on en a vu plus haut les raisons[1] — de conserver ces réserves en s’en adjugeant le profit. Il était trop tôt encore pour songer à organiser administrativement la monarchie. Ils ont adopté, en somme, la meilleure solution possible, en transportant aux évêques nommés par eux et attachés à leur service, les droits et les domaines dont ils disposaient. Dès lors, leur puissance est forcément liée au maintien de cette Église impériale. Dès qu’après la guerre des investitures ce soutien vient à lui manquer, elle s’effondre. Et il est désormais trop tard pour le rétablir sur une base nouvelle. On a reproché aux Hohenstaufen de ne pas s’être appuyé sur les villes. C’est oublier que, sauf le long du Rhin, les villes allemandes, de leur temps, commençaient seulement à se développer[2]. C’est pourquoi les villes, afin d’échapper aux princes, se constituèrent comme en Italie, en républiques libres. Elles dépendent nominalement de l’empereur ; en réalité elles sont indépendantes de lui, si bien que leurs ressources lui échappent. Il fallait choisir entre elles et les princes, et Frédéric Barberousse, comme ses successeurs, ne pouvait hésiter à leur préférer ceux-ci. Ainsi, au moment où en France le roi commence à s’imposer a la haute féodalité, en Allemagne il s’y subordonne. Pour se maintenir, il doit se constituer un parti parmi les princes. Mais, obligé de payer leurs services par des avantages et des concessions de toutes sortes, il ne dure qu’en s’épuisant et, déjà sous Barberousse, il en est réduit en somme à une politique d’expédients. La lutte de Philippe de Souabe et d’Othon IV achève de ruiner ce qui restait encore au pouvoir royal, sinon d’autorité, au moins de prestige. Frédéric II en 1231 n’a fait que reconnaître en droit ce qui existait déjà en fait, en cédant aux princes les dernières préro-

  1. Voy. p. 125 et sq.
  2. Je ne parle pas de celles de la Baltique qui leur appartenaient à peine.