Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/262

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avec l’Angleterre poussait naturellement du côté de la France. Cependant, il était impossible que le déclin de la royauté allemande restât sans influence sur la frontière occidentale du pays. Tracée par le Traité de Verdun, au milieu d’une civilisation purement agricole, elle avait réparti les territoires comme on partage un domaine sous la préoccupation d’assurer à chacun des fils de Louis le Pieux des parts équivalentes et sans tenir compte, ni des populations, ni de la situation géographique. Dans l’Europe du xiiie siècle animée par la circulation commerciale et les rapports nouveaux qu’elle entraînait entre les hommes, elle n’était plus qu’un archaïsme que le respect des situations acquises ne pouvait protéger indéfiniment. Les villes nées dans les bassins de la Meuse et de l’Escaut se tournaient naturellement vers les régions de l’ouest, attirées par les deux grands foyers économiques qu’étaient, d’une part les foires de Champagne, de l’autre les ports de Flandre. Sous leur influence, les populations de langue romane, de la Lorraine, du Luxembourg, du pays de Liège, du Hainaut, aussi bien que les populations germaniques de la Hollande et du Brabant, se détachaient insensiblement de l’Allemagne qui, de plus en plus morcelée, ne faisait rien et ne pouvait rien faire pour les retenir. Le lien féodal qui rattachait les princes de la frontière à l’Empire allait se relâchant toujours davantage. Vers la fin du xiiie siècle, les ducs de Lorraine et de Brabant, les comtes de Luxembourg, de Hainaut, de Hollande, lui sont devenus à peu près complètement étrangers. Déjà sous Frédéric Barberousse, l’agent des Hohenstaufen dans les Pays-Bas, le comte Baudouin V de Hainaut, se considérait comme indépendant et croyait s’acquitter de ses devoirs envers l’empereur en se déclarant neutre entre la France et l’Allemagne. Le royaume de Bourgogne, acquis par Conrad II en 1033, se décolla plus rapidement encore du bloc impérial. Étendu le long de la Saône et du Rhône et habité par des hommes de langue romane, tout l’attirait vers la Méditerranée ou vers la France. Les rois d’Allemagne, auxquels son dernier possesseur l’avait légué à une époque où la terre seule entrait en ligne de compte, ne furent d’ailleurs jamais pour lui que des étrangers et ne tentèrent aucun effort pour s’y implanter. Marseille et Lyon ne s’aperçurent jamais qu’elles appartenaient à l’Empire et les comtes de Provence, de Dauphiné, de Franche-Comté ne se préoccupèrent à aucun moment de la suzeraineté nominale que celui-ci exerçait sur eux. Ainsi la vieille frontière dessinée sur la carte à une époque de stagnation économique