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s’effaçait, pour ainsi dire, sous le frottement d’une civilisation plus intense et d’intérêts plus compliqués. Personne ne cherchait à la déplacer ; on se bornait à n’en plus tenir compte et, à mesure que déclinait la puissance impériale, les contours de l’Empire se faisaient plus vagues et plus imprécis.

Les rois de France ne pouvaient manquer, et ne manquèrent pas, de profiter d’une situation qu’ils n’avaient pas créée, mais qui sollicitait de plus en plus leur attention. A mesure qu’ils oublient l’empereur, les princes de la frontière se tournent vers eux, cherchant à obtenir leur appui ou demandant leur arbitrage. Beaucoup d’entre eux en reçoivent des fiefs ou des pensions. Dans les Pays-Bas, où les constitutions territoriales sont robustes et les principautés compactes, l’influence française est purement politique. Mais il en va autrement le long des confins de la Lorraine et dans la vallée du Rhône. Ici, l’enchevêtrement des terres et des droits, le grand nombre des seigneurs qui possèdent à la fois des terres en France et dans l’Empire, font surgir des contestations incessantes dont les rois profitent pour étendre l’action de leurs baillis de l’autre côté de la frontière. Avec l’assentiment des intéressés, ils gagnent ainsi par avancées successives, par un travail lent et presque invisible, sur cette zone mitoyenne, et il se trouve que bientôt leur pouvoir s’y est substitué en fait à celui de l’empereur.

Pendant que l’Allemagne s’effrite ainsi à l’ouest sous l’action d’une civilisation supérieure à la sienne, à l’est au contraire elle se dilate largement au détriment de la barbarie. La conquête des régions slaves des bords de l’Elbe, entamée par Othon Ier puis abandonnée après lui, est reprise et avance à grands pas depuis le milieu du xiie siècle. C’est un spectacle étrange à première vue que celui de ces progrès de la colonisation allemande, augmentant à mesure qu’à l’intérieur du pays le pouvoir des empereurs va déclinant sans cesse. C’est qu’en réalité, ce grand travail d’expansion, qui devait plus tard influer si essentiellement sur les destinées du peuple allemand, ne doit rien aux empereurs. Il s’est accompli sans leur participation et sans qu’ils lui témoignassent le moindre intérêt. Ce sont les princes des bords de la Basse-Elbe, et surtout Henri le Lion et le margrave de Brandebourg Albert l’Ours (1170) qui, pendant que Frédéric Barberousse usait inutilement ses forces en Italie, ont énergiquement poussé à la germanisation des pays Wendes des bords de la Baltique. Il ne s’agit point ici d’une conquête purement politique, mais d’une véritable entreprise de colo-