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nisation grâce à laquelle, par un mouvement de reflux, les Germains se substituent aux Slaves dans les contrées qu’ils avaient abandonnées lors des grandes invasions du ive siècle. Son succès eût été impossible sans les transformations économiques qui ont été esquissées plus haut : l’augmentation de la population dans le courant du xiie siècle, l’abandon du régime domanial, l’apparition d’une classe de paysans libres et enfin la formation des bourgeoisies. Grâce à elles se rencontrèrent à point nommé la condition physique et la condition morale indispensables à toute œuvre de peuplement : la surabondance des habitants et l’esprit d’entreprise. Au fur et à mesure que les raids des chevaliers du duc de Saxe et du margrave de Brandebourg refoulaient et massacraient les Slaves, les colons, sous la direction d’entrepreneurs (locatores) prenaient possession des régions nettoyées. Il en venait de la Franconie, de la Thuringe, de la Saxe, des bords du Rhin et même de la Flandre et de la Hollande, ces derniers particulièrement utiles à cause de leur habilité dans les travaux d’assèchement et d’endiguement. Chacun recevait, moyennant un cens modique, un lot de terre d’un seul tenant (hufe) et trouvait facilement, parmi les Slaves échappés au massacre, les travailleurs nécessaires. Des moines cisterciens, entre les nouveaux villages, fondaient leurs monastères et fournissaient les desservants aux églises paroissiales. Dès avant la fin du xiie siècle, la colonisation avait déjà atteint les bords de l’Oder. Le long des rivières, des villes indispensables à l’approvisionnement des paysans et servant de marchés à leurs alentours, commençaient à se fonder : Brandebourg, Stendal, Spandau, Tangermunde, Berlin, Francfort sur l’Oder.

Les États slaves de l’est et du sud, la Pologne et la Bohême, cherchèrent bientôt à attirer vers eux ces Allemands qui apportaient au delà de l’Elbe les procédés de l’agriculture occidentale et la pratique de divers métiers urbains. Les ducs polonais de Silésie (Piastes) favorisèrent de toutes leurs forces leur établissement à Breslau et dans ses environs. Le roi de Bohême Wenceslas Ier(1230-1253) et son successeur Othokar II se montrèrent plus favorables encore à ces pionniers. Des villages allemands s’éparpillèrent au milieu de villages tchèques, des villes allemandes, Kuttenberg, Deutchbrod, Iglau, se développèrent par l’industrie des mines ou celle du tissage, bourgeois et paysans conservant intacts, au milieu de la population indigène, leur langue, leurs mœurs et leur droit, et léguant ainsi à l’avenir de redoutables problèmes. Les colons