Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/280

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Namur et s’employait à procurer l’évêché de Liège à l’un de ses fils, introduisant par lui l’influence française partout où pénétrait l’influence flamande. Le comte de Hainaut, Jean d’Avesnes, cherchait vainement à intéresser Rodolphe à sa cause et le suppliait en termes virulents de descendre dans les Pays-Bas où son ennemi le comte de Flandre se riait insolemment du glaive émoussé de l’Empire. En fait, la suzeraineté allemande avait déjà disparu de ces riches contrées et il semblait qu’elle dut y être remplacée prochainement par celle de la France.

Cette expansion de la puissance capétienne vers le nord et vers l’est sur des territoires que leur situation géographique, leurs mœurs et, en partie, leur langue orientaient naturellement vers la France était la conséquence fatale de la faiblesse de l’Allemagne. Elle était trop naturelle pour ne pas devoir s’accomplir du moment où, derrière la frontière artificielle qu’elle traversait, ne se rencontrait plus pour la repousser un État supérieur en force et décidé à garder ce que les vieux traités carolingiens lui avaient attribué au xie siècle. Pour réussir, Philippe le Hardi n’avait qu’à profiter des circonstances et du temps qui travaillaient pour lui. Mais il n’en allait pas de même au sud du royaume. Les Pyrénées établissent ici entre les pays et les peuples une barrière dont il a toujours fallu à la longue que s’accommodent les ambitions politiques et les conquêtes. Clovis ne les avait pas dépassées, et si plus tard les Arabes les avaient franchies, ce n’avait été que pour être bientôt ramenés au delà. La marche d’Espagne, constituée par Charlemagne au delà des monts n’avait pas tardé à se détacher de la France. Tout ce qu’il en restait, c’étaient des droits de suzeraineté mal définis des rois de France sur la Catalogne, des rois d’Aragon sur le Languedoc. Saint Louis avait substitué, par amour de la paix, la clarté à cette confusion. Depuis le Traité de Corbeil, les Pyrénées délimitaient aussi nettement les droits que les pays. On se demande pourquoi Philippe le Hardi se résolut à bouleverser de nouveau une situation si satisfaisante et à se mêler des affaires de l’Espagne. Aucun péril ne le menaçait de ce côté, il n’avait à y revendiquer aucun droit, ni à y protéger aucun intérêt. Les questions dynastiques qui occasionnèrent son intervention en Navarre et en Castille dès 1275 n’étaient que des prétextes. Il s’en saisit parce qu’il voulait faire la guerre, une guerre de magnificence comme on aurait dit sous Louis XIV, une guerre d’hégémonie, comme on dirait de nos jours. Ayant la force, il s’en servit pour