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s’imposer, sans autre profit en vue que la gloire de sa couronne. C’est, je pense, la première guerre de pure ambition politique que signale l’histoire d’Europe. Peut-être d’ailleurs faut-il attribuer l’immixtion de Philippe le Hardi en Espagne au désir de seconder en Sicile les desseins de Charles d’Anjou, auxquels la maison de Castille n’était guère moins hostile que celle d’Aragon. En tous cas, il en fut ainsi pour la campagne d’Aragon en 1283. Après les Vêpres siciliennes, le pape ayant excommunié le roi d’Aragon, offrit son royaume, qui constituait un fief de l’Église, au roi de France pour l’un de ses fils. Philippe désigna Charles de Valois et passa les monts pour lui conquérir le trône de Pierre II. Il mourut pendant l’expédition sans avoir réussi.

L’œuvre de Saint Louis était complètement ruinée. Son fils laissait en mourant la France impliquée dans les affaires d’Italie et d’Espagne et sur le point de voir l’Angleterre, sortie des troubles du règne d’Henri III et sollicitée par ses nouveaux ennemis, reprendre les armes contre elle. Mais si sa position n’était plus aussi forte que vingt ans plus tôt, elle était plus brillante. Elle s’était largement dilatée au détriment de l’Empire, avait franchi les Pyrénées et, malgré les Vêpres siciliennes, voyait une dynastie française, par l’avènement de Charles II d’Anjou, définitivement installée à Naples et bientôt après établissant une de ses branches sur le trône de Hongrie[1]. Dans l’Europe du xiiie siècle, elle n’avait pas de rivale. Il n’y existait nulle part un royaume aussi étendu, aussi bien situé par ses débouchés sur la Mer du Nord et la Méditerranée, aussi peuplé et, sauf l’Angleterre, jouissant d’une constitution politique aussi solide.


II. La civilisation française


L’hégémonie intellectuelle ne va pas toujours de pair avec l’hégémonie politique. L’Allemagne avait exercé la seconde, au xie siècle, sans posséder la première car il ne suffit pas de s’imposer par la force pour s’imposer en même temps par la civilisation. Il arrive que des pays insignifiants par la puissance, comme par exemple l’Italie du xve siècle, répandent au dehors leurs mœurs, leurs idées et leur art par la simple manifestation de leur supériorité. La France du xiiie siècle a eu ce bonheur d’être supérieur au reste de l’Europe, tout à la fois comme État et comme société. Sa force n’a

  1. Voir ci-après, p. 378.