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ment qu’il en ait été ainsi. La France du Moyen Age ne possédait pas, en effet, une vie économique assez intense pour imposer son action au commerce et à l’industrie. Dans ce domaine, elle le cédait de beaucoup à l’Italie et à la Flandre. En Flandre pourtant, le voisinage intime, les relations politiques et les intérêts commerciaux ont fait descendre l’influence française jusqu’à la bourgeoisie. Les patriciens des grandes villes flamandes du xiie siècle sont plus qu’à moitié français ; ils le sont au point de se servir du français comme langue administrative et langue d’affaires. Le caractère bilingue que la Belgique flamande a conservé jusqu’à nos jours date de cette époque. Il n’est dû en rien, comme par exemple celui de la Bohême, à l’occupation étrangère ; il est une conséquence naturelle et pacifique du voisinage de la France et la meilleure preuve de l’attraction exercée par sa civilisation.


CHAPITRE IV

PHILIPPE LE BEL ET BONIFACE VIII

I. — Les motifs de la crise

La mort et la catastrophe de Frédéric II (1250) avaient clôturé la lutte séculaire de la papauté et de l’Empire. Depuis lors, le pape n’a plus d’ennemis. Le pouvoir universel qu’il exerce sur l’Église est incontesté. Il peut se consacrer à la réalisation des grands desseins de la politique pontificale : l’union de l’Église grecque et la Croisade. Il sembla un instant que la première allait se réaliser. L’empereur de Byzance, Michel Paléologue, comptant obtenir contre les Turcs l’appui de l’Occident, se déclarait prêt à reconnaître la primauté de Rome et Grégoire X, au Concile de Lyon en 1274, put proclamer la fin du schisme qui depuis trois siècles divisait la chrétienté. Ce ne fut que le triomphe et le rêve d’un moment. L’Église grecque était trop profondément enracinée dans le sentiment religieux et les traditions nationales des chrétiens d’Orient, pour consentir à se courber sous le joug des Latins. Les démarches de l’empereur furent désavouées par elle. En 1281, Martin IV n’espérant plus rien, dut l’anathématiser de nouveau. Le but auquel on se flattait d’avoir atteint, était plus éloigné que jamais. La Croisade, solennellement annoncée au Concile en même