Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/288

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temps que la réconciliation des Grecs, ne réussit pas mieux. Louis IX avait été le dernier croisé. Sans doute Charles d’Anjou, par ambition politique beaucoup plus que par sentiment religieux, préparait une expédition qui, si elle avait pu mettre à la voile, n’eût sans doute pas mieux réussi que celles de son frère. Mais les Vêpres siciliennes l’obligèrent à détourner sa flotte contre Messines et à s’absorber dans la défense de son royaume menacé.

Ainsi la papauté n’est arrivée à son apogée que pour voir échouer ses plans grandioses de ramener les Grecs au sein de l’unité catholique et de reprendre à l’Islam le tombeau du Christ. Bien plus ! en Occident même sa situation est ébranlée. L’heure de sa victoire est en même temps celle où commence à se manifester son déclin.

On aperçoit de cela plusieurs causes. Tout d’abord la lutte contre l’empereur ayant pris fin, la cause du pape en Italie cesse de se confondre avec celle des Guelfes, avec celle des villes lombardes surtout, que l’empereur menaçait en même temps que lui. Il n’est plus désormais qu’un souverain italien et sa puissance temporelle se réduit à la mesure de ses intérêts territoriaux. Elle est médiocre, si médiocre qu’elle ne lui permet pas de résister à Charles de Valois, dont la prépondérance s’affirme bientôt dans toute la Péninsule, jusque dans les États de l’Église, jusque dans Rome même où son titre de sénateur fait de lui le protecteur, c’est-à-dire le maître du peuple. Mais cela ne suffit pas ; elle va plus loin et s’introduit au sein même de la curie. Jadis, à l’époque où l’élection des papes se faisait par le clergé et le peuple, c’est par la violence ou la corruption que les barons romains cherchaient à rallier la foule au candidat de leur choix. La création du collège des cardinaux par Nicolas II (1059) avait mis fin à ces pratiques et assuré la liberté de l’élection en la mettant à l’abri des émeutes de la rue. En 1179, pour la garantir mieux encore, Alexandre III avait décidé qu’à défaut de l’unanimité, les deux tiers au moins des cardinaux devaient être d’accord dans leur choix. Il va de soi que plus grandissait l’ascendant de la papauté dans les affaires de l’Europe, plus aussi les considérations politiques se mêlaient aux considérations religieuses pour déterminer les votes. Pourtant, les cardinaux étant presque tous italiens, l’étranger n’avait joué durant très longtemps qu’un rôle fort secondaire dans leurs délibérations. Il n’en alla plus de même depuis l’arrivée de Charles d’Anjou. Sa constante préoccupation fut de s’assurer d’un parti dans le Sacré Collège et il travailla de toutes ses forces à y introduire des Napolitains, des Provençaux