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traits principaux, l’organisation est identique. Entre le métier français, l’ambacht flamand, le craft anglais, l’arte italien, le zunft allemand, il n’y a que des différences de surface provenant de la différence des mœurs ou du degré d’autonomie dont la corporation jouit vis-à-vis du pouvoir urbain. Chez les peuples de langue romane comme chez ceux de langue germanique, sa nature est la même. Ici encore, comme dans tous les phénomènes fondamentaux de la vie européenne, l’élément national se borne au décor ; l’essentiel est dû aux nécessités qui, dans les mêmes circonstances, s’imposent à la nature humaine.

Partout le métier possède des chefs (doyens, syndics, vinders, etc.) revêtus d’une autorité officielle : partout il élabore les règlements professionnels et veille à leur observation ; partout il jouit du droit de réunion, partout il constitue une personne morale propriétaire d’une caisse et d’un local commun, partout enfin ses membres se répartissent de la même manière. On y entre comme apprenti, on monte ensuite au rang de compagnon et on aboutit à celui de maître.

En règle générale, il faut se représenter le maître comme le chef propriétaire d’un atelier où sont employés, sous sa direction, un ou deux compagnons et un apprenti. Il nous fournit la forme la plus complète du type de l’artisan, c’est-à-dire du petit producteur indépendant travaillant à domicile. La matière première qu’il met en œuvre lui appartient et il vend à son profit exclusif les produits qu’elle lui a servi à confectionner. Les bourgeois de la ville et les paysans de la banlieue, tels sont les consommateurs qui le font vivre. La petitesse de son industrie et de son capital est donc proportionnée à l’exiguité du marché. Pour qu’il puisse subsister, il importe qu’il y soit protégé contre la concurrence, non seulement contre la concurrence externe de l’étranger, mais contre la concurrence interne de ses confrères. C’est à quoi le métier se consacre avant toutes choses. Afin d’assurer l’indépendance des maîtres, il restreint et réglemente curieusement leur liberté. La subordination économique de chacun est la garantie du salut de tous et de là les prescriptions minutieuses dont elle enserre l’artisan : défense de vendre à un prix plus bas que le taux fixé par les règlements, défense de travailler à la lumière, de se servir d’outils inusités, de modifier la technique traditionnelle, d’employer plus d’ouvriers que ne le font les voisins, de faire travailler sa femme ou ses enfants mineurs, défense enfin et défense absolue de recourir à la réclame