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tation en augmente considérablement vers les Pays-Bas et l’élevage des moutons commence à donner son aspect caractéristique à la Castille dont il enrichit la noblesse. Le fer de Bilbao, l’huile d’olive, les oranges, les grenades font aussi l’objet d’un transit grandissant vers le nord. Bruges reste le centre d’attraction de ce commerce. Dans la première moitié du xve siècle, la nation espagnole y est presque aussi fortement, représentée que la Hanse. Il y a là une orientation économique vers le nord dont il faut tenir compte et dans laquelle on ne peut guère s’empêcher de voir une préparation de l’alliance dynastique qui devait, en 1494, rattacher les Pays-Bas à la Castille.

Mais en même temps, sur la côte portugaise de l’Atlantique, une autre expansion débute qui, celle-ci, changera l’avenir du monde. En face des Algarves s’étend la côte marocaine, et le zèle religieux pousse à y porter la lutte contre l’Islam. Le fils du roi Jean Ier, Henri le Navigateur (1394-1460), chez lequel la curiosité se mêlait à l’esprit de propagande chrétienne, a consacré sa vie à équiper et à diriger des expéditions maritimes qui ouvrent l’histoire grandiose des découvertes. Il avait pris part en 1415 à l’expédition de son père contre Ceuta, et à la prise de cette ville. Qu’y avait-il au delà ? Quel monde inconnu se cachait derrière le Cap Bojador que personne n’avait encore doublé. La navigation était maintenant assez avancée pour pouvoir se risquer sur la haute mer. En 1420, un navire envoyé par lui découvrait les îles Madère, un autre en 1431 les Açores. En 1434, le Cap Bojador était doublé. Henri put encore apprendre avant sa mort, en 1460, la découverte des îles du Cap Vert et de la côte de Sénégambie. Le chemin du monde méridional était ouvert. Cette Mer Atlantique qui avait semblé jusqu’alors la fin de l’univers allait devenir le chemin d’un univers nouveau.

Ainsi, au milieu du xve siècle, avant même le mariage de Ferdinand et d’Isabelle qui devait joindre pour toujours la Castille à l’Aragon, l’Espagne a pris dans le monde une position dont ni elle ni personne ne peut voir encore la possibilité d’avenir, mais qui la prépare au rôle qu’elle va jouer. Par Barcelone et la Sicile elle est mêlée aux affaires méditerranéennes, par les ports du Golfe de Gascogne elle touche le nord par son commerce, et elle vient de s’élancer sur l’Atlantique. Sa puissance morcelée n’est pas encore bien grande, mais nul autre État, pas même Venise, n’a une telle expansion. Et si l’on pense avec cela que le peuple est trempé par la guerre contre l’Islam, qu’il a en lui-même une confiance profonde,