Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/418

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combattre les effets, de la culture moderne de l’esprit. Il ne faudrait pas croire d’ailleurs que les hommes du xve siècle aient perdu le sentiment de la sainteté. Loin de là. Il suffit pour le prouver de citer leur vénération pour les Chartreux. Un tyran tel que Jean Galeas Sforza n’a-t-il pas entouré la Chartreuse de Pavie du plus magnifique cadre architectural comme on sertit d’orfèvrerie une relique vénérée ? Mais les Chartreux sont de purs contemplatifs ne se mêlant pas à la vie, abandonnant à elle-même la société qui les admire et sur laquelle ils n’espèrent pas agir autrement que par la prière.

Si la Renaissance s’est affranchie de la morale ascétique du Moyen Age, elle ne l’a remplacée par aucune autre. Les âmes les plus hautes et les plus fortes se sont imposées un idéal de vertu et d’honneur ; la gloire a été pour d’autres le mobile dominant, mais le plus grand nombre ne paraît avoir obéi à d’autres règles qu’à celles de l’intérêt personnel ou s’est laissé conduire par ses penchants ou ses passions. Le relâchement des liens conjugaux, la fréquence des assassinats, des empoisonnements, des perfidies de tout genre et a tous les degrés de l’échelle sociale, attestent une crise morale incontestable. Et pourtant, on voit poindre, au milieu de ce désordre, le sentiment de la liberté individuelle, celui de la dignité de l’homme, de la beauté de l’énergie et de la responsabilité de chacun devant sa propre conscience. Est-ce aller trop loin que de faire honneur à la Renaissance d’avoir pressenti que la morale ne peut uniquement consister en un code de préceptes et que, pour être complète, il lui faut la libre adhésion de la personnalité ? C’est là une conception aristocratique sans doute, en ce sens du moins qu’il est donné à peu de gens d’y arriver. Mais l’œuvre tout entière de la Renaissance n’est-elle pas aristocratique ? N’est-ce pas par la formation d’une élite intellectuelle qu’elle se caractérise surtout et qu’elle s’oppose si complètement au Moyen Age avec sa caste sacerdotale possédant le monopole de l’instruction et de la science ? Et n’est-ce pas à cette élite intellectuelle qu’elle doit son trait le plus frappant et qui, en Italie surtout, achève de lui donner sa physionomie propre, le retour à l’Antiquité ?

On sait que, dans son acception première, le mot lui-même de Renaissance ne signifie pas autre chose que Renaissance de l’Antiquité. Il est certain pourtant qu’à l’employer dans ce sens, on en restreint singulièrement la portée. Le changement des idées, des mœurs et de la morale au xve siècle n’a pas été la conséquence,