Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/420

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l’abandon de l’idéal classique rationaliste et cosmopolite du xvie siècle le Moyen Age n’aurait pas enthousiasmé les romantiques, de même sans l’affranchissement de la tradition théologique et ecclésiastique, les hommes de la Renaissance n’auraient pas trouvé dans l’Antiquité une source nouvelle de science et de beauté.

D’ailleurs, il faut reconnaître tout de suite que l’influence de l’Antiquité a été incomparablement plus profonde et plus féconde à l’époque de la Renaissance que celle du Moyen Age à l’époque du Romantisme. Le Moyen Age, en effet, n’apportait aux romantiques que du pittoresque et de la couleur locale. L’Antiquité offrait au contraire à la pensée laïque, au moment où elle s’éveillait, un trésor de science et d’humanité paré de tous les prestiges de la forme. Au moment même où l’Église ne suffisait plus aux besoins de l’esprit, il se trouva, par un bonheur extraordinaire, qu’un art et une littérature incomparables se présentaient pour les satisfaire. On sortait de la cathédrale et, en face, tout grand ouvert se trouvait le temple antique.

Rien d’étonnant si le culte de l’Antiquité a débuté par l’Italie. Il n’y avait jamais cessé tout à fait. Le souvenir de Rome restait vivant. Voyez déjà Arnaud de Brescia. Pétrarque considère les autres peuples comme des barbares. Dès que les yeux s’ouvrent et remarquent la beauté antique, on croit retrouver un lien de famille. L’art du Moyen Age est taxé de gotico. Le grec arrive de Byzance.

Il ne peut être question ici d’esquisser même à traits rapides la physionomie de l’humanisme italien du xve siècle. En dépit de ses exubérances et de ses outrecuidances, il n’en a pas moins agi de la manière la plus durable sur la pensée moderne. Tout d’abord, il a fait du latin, non plus du latin scolastique des universités et des juristes, langue d’école et d’affaires sacrifiant entièrement la forme à la clarté, mais du latin classique, correct et élégant, la langue internationale de tous les gens instruits jusqu’à nos jours. Il a créé ainsi à l’usage des laïcs une culture uniforme, assez semblable, par l’extérieur, à celle dont le clergé avait jusqu’alors conservé le monopole. Ce faisant, il a achevé la constitution de cette aristocratie intellectuelle que l’évolution sociale suscitait au sein de la nation. Mais il a fait plus encore et a aristocratisé en même temps le développement de toutes les littératures modernes. Les écrivains, formés par l’étude des classiques ont transporté aux langues natio-