Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/490

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couronne, et sur quelques seigneurs ligués avec lui sous prétexte du « bien public » du royaume. Mais les coalisés ne s’entendaient pas entre eux. Après sa défaite à Montléry, le roi traita tout de suite et n’eut pas de peine à les détacher les uns des autres. Il restait seul en face du Bourguignon et pouvait se consacrer tout entier à sa perte. Il excitait contre lui les Liégeois qu’il devait désavouer au moment du péril, intriguait en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Savoie, à Milan et à Venise, subtil, insaisissable et enserrant peu à peu dans les rets de la plus rusée des diplomaties, son fougueux adversaire. On a souvent caractérisé Charles en face de Louis XI, comme le dernier représentant de la féodalité aux prises avec le premier souverain moderne. Rien n’est moins exact. A part la différence des génies personnels, aussi prudent et aussi habile chez le roi qu’il était emporté et aventureux chez le duc, la différence de leur politique vient de la différence même de leurs États. Celle du prince français le rattache à une tradition séculaire et vise à ce même but de défense et d’unité nationale auquel ont tendu depuis le xiie siècle, avec plus ou moins de bonheur ou de talent, tous les prédécesseurs dont il tient sa couronne. La puissance bourguignonne, au contraire, est trop récente, elle a été échafaudée trop rapidement, elle est encore trop peu solide, trop mal liée entre ses parties, pour pouvoir imposer à celui qui la dirige des vues fermes et précises. Formée par la conquête, elle le pousse d’autant plus à de nouvelles conquêtes que les ressources qu’elle lui procure sont plus considérables et peuvent facilement le tromper sur ses forces réelles. La conduite de Charles justifie le mot de Machiavel, qu’un État se soutient par les mêmes forces qui l’ont créé. Il faut reconnaître d’ailleurs que beaucoup de ses entreprises s’imposaient à lui comme l’achèvement de l’œuvre de Philippe le Bon. L’annexion de la Gueldre et celle du pays de Liège complétaient au nord le bloc des Pays-Bas, et ses tentatives pour s’approprier l’Alsace et la Lorraine s’expliquent par la nécessité de relier à ceux-ci la Franche-Comté et le duché de Bourgogne. Mais on s’arrête difficilement dans la voie des conquêtes. Aveuglé par le succès et l’amour de la gloire, Charles a bientôt perdu de vue le possible et le réel et oublié les intérêts de ses peuples. Il rêve de se faire couronner roi des Romains, de se faire céder par le vieux René d’Anjou ses prétentions au royaume de Naples. Son expédition contre Neuss (1474-1475) où il s’obstine avec une passion maladive pour humilier l’empereur et l’Empire, lui fait manquer le moment de