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que de se faire, en face du Turc, le champion de l’Église et de l’Europe. Rien enfin n’aurait plus hautement justifié ce titre de « rois catholiques » que Ferdinand et Isabelle venaient de recevoir d’Alexandre VI. Mais, arrivée à ce moment décisif de son histoire, l’Espagne dévie. Elle se détourne de la guerre sainte pour se laisser entraîner par les ambitions dynastiques de ses princes. Sans s’apercevoir qu’elle renonce à sa mission, elle va concentrer toutes les énergies qu’elle a acquises dans ses conflits séculaires avec le Croissant, à leur soumettre le continent chrétien, pour retomber enfin sur elle-même, ruinée, épuisée, par deux cents ans d’efforts, et presque aussi stérile que les côtes voisines du Maroc dont elle a sacrifié la conquête certaine et profitable aux rêves de domination universelle de ses souverains.

Pour trouver le point de départ d’une évolution aussi considérable, il faut remonter à la lointaine intervention de l’Aragon dans les affaires de Sicile. Depuis lors, les Anjou possédant sur la terre ferme le royaume de Naples, et les princes aragonais régnant dans l’île, n’avaient cessé de se trouver en conflit. La mort de la reine Jeanne de Naples (1435) qui, après avoir reconnu comme son successeur Alphonse d’Aragon, avait plus tard légué sa couronne à René d’Anjou, aurait certainement fait éclater une guerre si l’indolence et la faiblesse de René s’y étaient prêtées. Mais en mourant (1480), il avait légué ses prétentions à la maison de France. Charles VIII, l’héritier de Louis XI, brûlait de les faire valoir. Après avoir, par la Paix de Senlis (1493), mis provisoirement la frontière du nord à l’abri des entreprises habsbourgeoises, il passait les monts (1494} et, traversant l’Italie étonnée, venait prendre la couronne de Naples. Ce ne devait être que la courte aventure d’un jeune prince amoureux de gloire. Dès l’année suivante, le pape réunissait contre l’envahisseur Milan et Venise. Ferdinand et Isabelle, par solidarité pour leurs parents de Sicile, se joignirent à la coalition. Charles n’eut que le temps de battre en retraite et de rentrer en France où il mourut en 1498. Son successeur Louis XII devait malheureusement reprendre ses traces. Outre Naples, il revendiquait encore Milan, comme descendant de Valentine Visconti et, dès 1499, il s’en emparait presque sans coup férir. Un traité avec Ferdinand d’Aragon, stipulant le partage du royaume de Naples, lui permit sans plus de difficultés d’en prendre la part qu’il lui reconnaît. Mais Ferdinand rompit bientôt la convention. La guerre éclata, les Français furent vaincus et Louis XII, en 1505, renonça à toutes ses prétentions sur