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de races ne font rien, et l’ambiance historique tout. Chez les Slaves, sont fondés des évêchés à Meissen, Mersebourg, Zeitz, Brandebourg, Havelberg, Oldenbourg, qui sont rattachés à l’archevêché de Magdebourg fondé en 968. Une expédition est envoyée jusqu’en Pologne où le duc Mesko Ier prête serment, paye tribut et devient chrétien (966), fait d’une importance considérable en ce qu’il rattache la Pologne à Rome. De même au nord, le roi de Danemark Harold à la dent bleue, est forcé de fonder des évêchés et de se convertir au christianisme.

Le rôle de l’Allemagne se dessine ainsi vers l’est. Elle commence à reconquérir sur les Slaves les pays de la rive droite de l’Elbe que les Germains avaient abandonnés lors des grandes invasions. Au reste, il n’y a pas encore là de colonisation germanique, car il n’y a pas trop d’habitants en Allemagne. Ce que veut Othon, c’est fixer les barbares, et les christianiser. Il se rapproche d’ailleurs de l’Église comme l’ont fait les Carolingiens, mais dans un mode assez différent. Chez les Carolingiens, le chef de l’État est étroitement en rapport avec le chef même de l’Église. Pour Othon pareille situation ne peut exister, et parce que la papauté de son temps est complètement dégradée, et parce qu’il n’est pas empereur. C’est auprès des évêques — non du pape — qu’il cherche son appui. Par eux, il pourra opposer un personnel politique aux grands laïques, et c’est parmi les prélats qu’il recrutera ses conseillers. Son frère Brunon est archevêque de Cologne, il en fait le duc des Lotharingiens. Cet exemple est caractéristique : les évêques vont devenir des gouverneurs. Othon les envisage plus à ce point de vue laïque qu’au point de vue spirituel. On pourrait dire que ce qui distingua sa politique de celle des Carolingiens, c’est que ceux-ci cléricalisèrent l’État, tandis qu’il laïcisa l’Église. Mais pour que l’Église lui fournisse un appui solide, il faut qu’elle soit puissante. De là des donations en masse aux évêques, de terres et de comtés. Le roi le peut, alors que ne l’eût pu le roi de France, parce que beaucoup de comtés dépendent encore de lui et qu’il procède à la confiscation des terres des grands qui prétendent lui résister. C’est parce que l’évolution de l’Allemagne est moins avancée dans le sens de la féodalité, que sa politique royale fut possible, et qu’il put faire des évêques des princes d’Empire. Toute l’Allemagne et la Lotharingie se couvrent de principautés épiscopales : féodalité d’un type spécial dont le monarque dispose à son gré. Les princes évêques sont formés dans sa chapelle, comme des