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voisin et toute arme lui est bonne. La passion de la terre domine tous ces féodaux, et comme il n’est personne pour leur résister, ils se heurtent les uns contre les autres avec toute la brutalité de leurs instincts. Le roi est impuissant ; et s’il prétend quelquefois intervenir, son fonctionnaire lui fait la guerre. C’est ainsi que Charles le Simple est mort dans la prison du comte de Vermandois.

Pourtant, et c’est ici qu’apparaît l’élément féodal, les princes sont liés au roi par le serment. C’est en cela que s’est transformée l’ancienne subordination du fonctionnaire. Ils sont les fidèles, les hommes du roi. En théorie, c’est le roi qui reste le détenteur suprême des pouvoirs qui lui ont été usurpés, et le serment féodal le reconnaît. Il ne faut donc pas dire que la féodalité a brisé l’État, c’est le contraire qui est vrai. Elle maintient encore un lien, au moins formel, entre le roi et les morceaux du royaume dont se sont emparés les grands fonctionnaires devenus des princes, et dont le serment féodal fait des vassaux. Il y aura là plus tard, quand il redeviendra fort, un principe qu’exploiteront les juristes. Pour le moment, le roi se laisse faire et reconnaît des usurpations qu’il ne peut empêcher. L’hérédité des féodaux est de règle. Au père succède le fils et dès le XIe siècle, l’hérédité est étendue aux femmes.

Ce roi, qui se considère toujours comme le détenteur de la toute puissance, les princes, ses grands vassaux, ne l’envisagent plus que sous l’angle féodal. Il n’est plus pour eux qu’un grand auquel ils sont liés par un lien contractuel. Ils lui doivent aide et conseil, et le roi leur doit protection ; s’il les attaque, se plaçant à son point de vue de roi, ils se croient justifiés à marcher contre lui. Les princes envisagent la royauté autrement que le roi lui-même. Mais les suites ne s’en feront sentir que plus tard et jusqu’au XIIe siècle, sauf de rares exceptions, les rois laisseront faire.

Ainsi, dès la fin du IXe siècle et le commencement du Xe, l’État se réduit à une forme vide. Les provinces sont devenues des principautés et les fonctionnaires, des princes. Le roi, sauf dans sa terre propre, n’est plus que le « souverain fieffeux » de son royaume. Une multiplicité de souverainetés locales a remplacé l’ancienne unité administrative issue de l’Empire romain. Mais il faut reconnaître aussitôt que c’est là la situation normale et saine et qui correspond à l’état social, donc aux besoins de la société. La constitution agraire et domaniale de l’époque rendait impossible le maintien de l’unité administrative qu’un Charle-