Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/147

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observé qu’en restaurant la papauté, il allait fatalement la mettre aux prises avec l’Empire. Il était évident que, plus il choisissait ses papes dans les rangs du clergé clunisien, plus il hâtait le moment où son ingérence serait considérée par ceux-là mêmes qui lui devaient la tiare, comme une usurpation insupportable et criminelle. Déjà Léon IX, après avoir été désigné par lui, pris de remords de conscience, s’était fait réélire par les Romains suivant les formes traditionnelles. Le conflit latent devait infailliblement éclater tôt ou tard. La mort inopinée de l’empereur en 1056 brusqua les choses.

II. — Le conflit

Son successeur, Henri IV, était un enfant de six ans, sous le règne de qui l’Allemagne fut longtemps paralysée, d’abord par une régence orageuse, puis par une dangereuse révolte des Saxons. Rome sut profiter des circonstances. A la mort d’Étienne IX (1058), l’aristocratie, revenant à sa tradition, s’était empressée de faire proclamer un de ses fidèles, Benoît X. Mais les temps étaient changés et la série des papes féodaux se clôtura, en même temps que celle des papes impériaux, par l’élection de Nicolas II, due au parti de la réforme. L’Église était décidée à secouer toute tutelle, celle de l’Allemagne, comme celle des barons romains. Le nom choisi par le nouveau pontife rappelait ce « Nicolas » qui, au ixe siècle, avait si énergiquement proclamé la supériorité du glaive spirituel ; on ne pouvait indiquer plus clairement la volonté d’une orientation nouvelle.

Durant les quinze années qui s’étaient écoulées depuis Clément II, la papauté, grâce aux nominations faites par Henri III, non seulement avait repris sa place à la tête de l’Église, mais était entourée d’une vénération et pourvue d’une influence qu’elle n’avait encore possédées à aucune époque. La rénovation religieuse qui s’était accomplie au dehors d’elle, tournait maintenant vers le successeur de Saint Pierre, les vœux et les dévouements de toute l’Église, clergé et fidèles. Cette immense force morale que l’ascétisme des moines avait suscitée, donnait enfin à Rome le chef qu’elle attendait et à qui son obéissance enthousiaste était assurée d’avance. Cette fidélité au Christ, qui embrasait les âmes, se confondait maintenant avec la fidélité à son vicaire. Qu’il parlât, sa parole serait entendue et révérée jusqu’au bout de la catholicité. Et la catholicité n’avait