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contre l’Islam. Pour le reste, dans ses origines, son but, ses tendances et son organisation, elle en diffère du tout au tout.

Elle est tout d’abord purement et exclusivement religieuse. Elle se rattache intimement à cet égard, quant à l’esprit qui l’anime, au grand mouvement de ferveur chrétienne dont la guerre des investitures est une autre manifestation. Elle s’y rattache encore par ceci que le pape, qui a conduit cette guerre et l’a déchaînée, déchaîne aussi et organise la Croisade.

Son objectif, à vrai dire, n’est pas l’Islam. Si on avait voulu le faire reculer, il fallait seconder les Espagnols et les Normands. Ce sont les lieux saints, le tombeau du Christ à Jérusalem. Il appartenait aux Musulmans depuis le ixe siècle et on ne s’en était pas autrement occupé. C’est qu’à cette époque, sous le gouvernement arabe, on ne molestait pas les chrétiens et que la piété de ceux-ci n’était pas encore aussi susceptible. Mais justement, quand elle le devient, au xie siècle, les Turcs Seidjoucides s’emparent de la Syrie et leur fanatisme moleste les pèlerins qui répandent partout leur indignation de l’opprobre fait au Christ. Or, parmi les pèlerins figuraient de nombreux princes, tel Robert le Frison. Ce ne sont évidemment pas les rapports de petites gens (qui n’ont guère dû être nombreux à Jérusalem) mais ceux des chevaliers et des princes, qui auront soulevé l’opinion.

A leurs excitations s’ajoutent bientôt les avances de l’empereur de Byzance. La situation de l’Empire, depuis l’apparition des Seldjoucides en Asie antérieure, est des plus précaires. Au xe siècle, les empereurs macédoniens, Nicéphore Phocas, Jean Tzimiscès, Basile II, avaient fait largement reculer l’Islam et reporté la frontière sur le Tigre. Mais les Seldjoucides, au xie siècle, reprennent l’Arménie et l’Asie Mineure. Au moment où Alexis Comnène monte sur le trône (1081), seules les côtes sont encore grecques. Il n’y a plus de flottes. L’armée est insuffisante. Alexis pense à l’Occident. A qui s’adresser, sinon au pape ? Lui seul y exerce une influence universelle. Mais on ne peut le prendre que par la religion. En 1095, il envoie une ambassade à Urbain II, au Concile de Plaisance, laissant entrevoir la possibilité de rentrer dans la communion catholique. Quelques mois plus tard, le 27 novembre 1095, à Clermont, la Croisade était proclamée d’enthousiasme par la foule accourue autour du souverain pontife.

La Croisade est essentiellement l’œuvre de la papauté. Elle l’est par son caractère universel et par son caractère religieux. Ce ne