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pillant et massacrant les Juifs. Ce qui en était arrivé à Constantinople avait été passé au plus vite par les Grecs de l’autre côté du Bosphore et taillé en pièces par les Turcs.

Si le pape avait espéré ramener l’Église grecque par les Croisades, il fut assurément désillusionné. Le contact des Occidentaux avec les Grecs augmenta l’antipathie entre eux et le fossé s’approfondit. Mais le but mystique, celui qui avait fait prendre les armes fut atteint. A travers des combats, des fatigues, des périls qui sont comparables à ceux de la retraite de Russie et durent être aussi meurtriers, ce qui restait de l’armée parut enfin devant les murailles de Jérusalem le 7 juin 1099. Le 15 juillet, la ville fut prise d’assaut et des torrents de sang furent répandus au nom du Dieu d’amour et de paix, dont on venait conquérir le tombeau.

Le résultat fut l’établissement de petits États chrétiens : royaume de Jérusalem dont Godefroid de Bouillon fut élu souverain sous le nom d’Avoué du Saint-Sépulcre, principauté d’Édesse dont, au passage, les habitants avaient donné le titre de comte à Baudouin, frère de Godefroid, principauté d’Antioche, dont Bohémond de Tarente s’était fait prince après la prise de la ville en 1098. Tout cela organisé suivant le droit féodal, loin de l’Europe, menacé par l’Islam, à peine entamé, de tous côtés. C’étaient des colonies qui ne répondaient à aucun des besoins auxquels répondent les colonies. Il n’y avait ni besoin de caser si loin une population surabondante, ni besoin d’organiser des comptoirs commerciaux. Si l’esprit de lucre fut loin d’être absent chez tous ceux qui partirent pour la Croisade, pas un seul d’entre eux n’était guidé par l’idée de commerce. L’idée religieuse était seule dominante. Mais le résultat fut tout de suite un résultat commercial. Il fallait ravitailler cette base militaire chrétienne qui venait de se fonder là-bas en Orient. Venise, Pise et Gênes s’en chargèrent aussitôt. Les principautés croisées furent un but pour leurs flottes. L’est de la Méditerranée était maintenant rattaché à l’Occident. La navigation chrétienne allait se développer depuis lors continuellement. Ce furent les bourgeoisies des villes maritimes italiennes qui retirèrent en somme le plus grand fruit des Croisades. Mais ce n’était pas là leur but. Leurs manifestations les plus vraies furent l’alliance de l’esprit militaire et de l’esprit religieux qui se trouve dans les ordres des Templiers et des Hospitaliers.

Comme établissements chrétiens, les possessions des croisés étaient bien difficilement défendables. Déjà, en 1143, Édesse tombe