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porter les 30.000 hommes de l’armée des croisés, moyennant le paiement de 85.000 marcs d’argent. Mais les croisés ne purent verser la somme fixée. Venise alors leur proposa de s’acquitter en s’emparant pour elle de Zara, port chrétien mais rival de Venise. Zara fut prise et la flotte s’apprêtait à cingler vers l’Église, lorsque le prince grec Alexis, dont le père, l’empereur Isaac, avait été détrôné peu auparavant (1195), proposa aux croisés de le rétablir sur le trône de Constantinople. Malgré le pape Innocent III, qui alla jusqu’à excommunier les Vénitiens, les croisés acceptèrent. Le 6 juillet 1203, la flotte forçait le port, les croisés occupaient Constantinople et faisaient couronner Alexis. Puis, des difficultés ayant surgi avec le nouvel empereur, la ville était prise de nouveau, le 12 avril 1204, et l’Empire latin fondé. Venise en reçut pour sa part tout ce qui pouvait favoriser son commerce maritime : une partie de Constantinople, Andrinople, Gallipoli, l’île d’Eubée et une foule d’autres îles, les côtes sud et ouest du Péloponnèse et toute la côte de la mer du golfe de Corinthe à Durazzo. La Mer Noire fut ouverte au commerce italien et aussitôt des établissements vénitiens, génois et pisans y furent fondés.

On ne peut pas dire que la Méditerranée soit redevenue, comme elle l’était dans l’Antiquité, un lac européen. Mais elle n’est plus une barrière pour l’Europe. Elle est de nouveau le grand chemin qui la met en contact avec l’Orient. Tout son commerce se dirige vers le Levant. Les caravanes qui, de Bagdad et de la Chine, acheminent les épices et la soie vers les côtes de Syrie, aboutissent maintenant aux bateaux chrétiens qui attendent au bas des « échelles ».

II. — Le commerce du Nord

Cette puissante expansion, dont les conséquences furent incalculables pour la civilisation européenne, a sa cause en dehors de l’Europe, ou du moins de l’Europe occidentale. Sans l’attraction exercée sur elle par Byzance, sans la nécessité de combattre les Musulmans, elle eût sans doute persisté de longs siècles encore dans sa civilisation purement agricole. Aucune nécessité interne ne lui faisait un besoin de se projeter au dehors. Son commerce n’est pas une manifestation spontanée de développement naturel de sa vie économique. On peut dire que, grâce aux excitations