Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/179

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parlementaire triomphera partout, dans l’Europe du xixe siècle. Et, si différentes l’une de l’autre que soient d’ailleurs ces deux transformations, elles présentent d’autre part une ressemblance assez frappante par le caractère de leur diffusion. De même que le parlementarisme continental est une adaptation d’institutions anglaises et belges aux conditions spéciales de chaque pays, de même les institutions urbaines, si elles nous apparaissent dans chaque ville avec des particularités dues à la constitution du milieu local, ne s’en rattachent pas moins dans leur ensemble à deux types dominants, celui des villes de l’Italie du nord, d’une part, de l’autre, celui des villes des Pays-Bas et du nord de la France. L’Allemagne et les autres régions de l’Europe centrale n’ont fait ici, comme pour le régime domanial, la féodalité, la réforme de Cluny et la chevalerie, que suivre l’impulsion venue de l’ouest.

En dépit d’innombrables divergences de détail, les villes du Moyen Age présentent partout les mêmes traits essentiels, et la même définition peut s’appliquer à chacune d’elles. On la formulera en disant que la ville est une agglomération fortifiée, habitée par une population libre adonnée au commerce et à l’industrie, possédant un droit spécial et pourvue d’une juridiction et d’une autonomie communale plus ou moins développées. La ville forme une immunité dans le plat pays ; cela revient à dire qu’elle forme une personne morale privilégiée. C’est sur la base du privilège, en effet, qu’elle est constituée. Le bourgeois, comme le noble, possède une condition juridique spéciale : l’un et l’autre, dans des directions différentes, sont également éloignés du vilain, du paysan, qui continuera, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, dans la plus grande partie de l’Europe, à demeurer en dehors de la société politique.

Par sa nature, la condition privilégiée du bourgeois est d’ailleurs très différente de celle du noble. Le noble est, en réalité, l’ancien homme libre propriétaire. Son privilège, en quelque sorte négatif, vient de ce que la masse du peuple a descendu sous lui dans la servitude. Il n’a pas monté ; il fait seulement partie d’une minorité restée en place au milieu de l’affaissement général. Le bourgeois, au contraire, est très positivement privilégié. C’est un parvenu, qui, de force, s’est fait dans la société une place que le droit a fini par lui reconnaître et par lui garantir. Le régime domanial qui superpose le noble au paysan, les lie en même temps l’un à l’autre d’un lien si fort, qu’aujourd’hui encore, après tant de siècles, il en subsiste