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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/212

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seconde. Rien ne serait plus faux que de le comparer, au milieu de ses vassaux, à une sorte de président, de primus inter pares. Entre lui et eux, il n’y avait pas de commune mesure ; il était placé au-dessus de leurs atteintes et leur échappait.

De cette situation spéciale ne découlait, il est vrai, aucune autorité bien déterminée. Elle inspirait au roi l’obligation de régner suivant la morale chrétienne sans qu’il en résultât pour lui aucun droit formel, si ce n’est celui de défenseur de l’Église. Mais cela déjà était considérable. Car l’Église contribuait à maintenir son ascendant par tout le royaume. C’est par lui que, du fond des grands fiefs les plus lointains, les monastères se faisaient confirmer leurs possessions, à lui que s’adressaient les évêques en lutte avec leurs vassaux ou les barons de leur voisinage. Il importe peu qu’il fût impuissant à les secourir, ces prêtres et ces moines qui l’invoquaient, empêchaient qu’on l’oubliât et lui réservaient l’avenir.

Sauvegardée par la tradition carolingienne, la prééminence du roi s’imposait, d’autre part, aux grands vassaux. Si indépendants qu’ils fussent en réalité, ils n’en tenaient pas moins leurs fiefs de la couronne et étaient tenus de lui prêter un serment de fidélité avec les obligations précises qu’il entraînait : service militaire et service de conseil. Ils étaient les « hommes du roi » et s’ils ne se le rappelaient guère que pour intervenir dans ses affaires et lui donner à sa cour des avis qu’il eut souvent préféré ne pas recevoir, il en résultait pourtant qu’ils lui reconnaissaient sur eux un droit de seigneurie dont devait sortir un jour un droit de souveraineté.

Pour exploiter les ressources qui étaient en lui et faire passer ses droits de la théorie à la pratique, il fallait au roi la force, et il s’appliquait sourdement à l’acquérir. La première condition d’une royauté solide est l’hérédité. Il ne pouvait être question pour les Capétiens de l’imposer à leurs électeurs qui étaient plus puissants qu’eux. Ils se contentèrent de faire nommer a tour de rôle leur successeur de leur vivant. Le bonheur voulut que chacun d’eux eut un fils, de sorte que, de Hugues Capet à Philippe Auguste, les dangers d’un interrègne furent épargnés au royaume. Durant environ 200 ans, tous les rois se passèrent donc la couronne les uns aux autres et cette longue possession d’État aboutit à leur en donner la propriété. Déjà, au xiie siècle, l’élection par les grands vassaux n’est plus guère qu’une cérémonie. Philippe Auguste se sentit assez puissant pour s’en affranchir. Son fils Louis VIII lui succéda et fut universellement reconnu sans aucune intervention des princes.