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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/236

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souverain de Rome, elles s’alimentent et par le denier de Saint-Pierre auquel sont soumis l’Angleterre et l’Aragon, et de taxes de plus en plus nombreuses frappées sur les dignitaires de l’Église : annates, réservats, droits de pallium, d’indult, etc. C’est cet ensemble de taxes qui constitue le trésor du Saint-Siège et le met à même de jouer le rôle universel qui lui appartient, de subsidier des Croisades, d’entretenir des missions, d’ajouter à son influence spirituelle l’influence toute terrestre de l’or. Il est impossible de se représenter l’immense ascendant d’un pontife tel qu’Innocent III, si on néglige de le considérer comme une puissance financière. Et il faut observer, d’autre part, que cette puissance financière qu’alimente et entretient de tous les points de l’Europe la hiérarchie catholique, n’a été possible que grâce aux progrès économiques provoqués par la renaissance du commerce. Tant que l’Occident est demeuré au stade de la civilisation agricole, le pape n’a pu avoir et n’a eu d’autres ressources que celles des domaines du patrimoine de Saint-Pierre. De là ses efforts pour s’augmenter en Italie, s’assurer les biens de la comtesse Mathilde en Toscane et sa résistance, au début, à l’expansion de l’État normand. Mais quand la circulation monétaire s’achève et de plus en plus se substitue au système des revenus en nature, la fiscalité pontificale peut se développer jusqu’aux extrêmes limites de l’autorité pontificale. Alors apparaît cette nouveauté : les taxes pontificales. Elles auraient été impossibles auparavant. Elles sont, dans l’histoire de l’organisation ecclésiastique le contre-coup de la transformation économique qui, à la même époque commence à rendre possible dans les États, un véritable système d’impôts. Et il est curieux de voir combien le pape profite, pour leur perception, de l’organisation capitaliste qui commence à se développer dans les grandes communes italiennes. Ce sont des marchands, banquiers de Sienne, puis plus tard de Florence, qu’il charge de toucher et de lui faire parvenir ses revenus. Plus tôt que les souverains laïques, les papes ont été en rapports intimes avec les gens de finance et la nécessité pour ceux-ci de collecter leurs revenus dans toute l’Europe, de les convertir par le change en monnaie italienne ou en monnaie internationale, de les mettre à la disposition du pape sans devoir s’astreindre à la transporter à grands frais et à grands risques au delà des monts, a singulièrement contribué à la naissance des premières opérations de banque et des premiers papiers de crédits, ancêtres lointains de la lettre de change.