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fiance parce qu’elle ne s’inspirait que d’intérêts personnels. Elle s’apaisa dès qu’elle se rendit compte que le succès était impossible. Raymond de Toulouse qui, naturellement, s’y était jeté, y perdit la moitié des terres qui lui restaient et fut obligé de fiancer son héritière au frère du roi, Alphonse de Poitiers qui, en 1249, à la mort de son beau-père, hérita du comté.

Le règne de Saint Louis (Louis IX, 1226-1270) commença comme celui de Louis XIV, au milieu des troubles d’une régence tumultueuse. Il lui ressemble encore par la gloire qu’il a procurée à la France ; il ne lui ressemble d’ailleurs qu’en cela. Pour le reste, le contraste des deux politiques est aussi tranché que celui du caractère des deux princes, dont l’un et l’autre sont restés pour la postérité comme l’incarnation même de leur époque. L’État absolu du xviie siècle a trouvé dans Louis XIV, son représentant classique, de même que l’État chrétien du Moyen Age a trouvé le sien en Saint Louis. A celles des grands papes dominateurs de son temps, les esprits religieux préféreront toujours cette physionomie si douce, si simple, si pieuse qu’elle fait penser à celle d’un Saint François d’Assise couronné, et qui pourtant fut celle d’un grand roi. L’idéal chrétien de paix, de justice et de charité s’est réalisé beaucoup plus complètement dans le règne de Saint Louis que dans le pontificat d’un Innocent III ou d’un Innocent IV. Mais il faut bien remarquer que cette fleur de la royauté médiévale ne s’est épanouie avec tant de beauté que par un heureux concours de circonstances. Ce fut un bonheur pour Saint Louis d’être monté sur le trône après la Croisade des Albigeois et de n’avoir point eu à se souiller des massacres de cette sanglante chevauchée dans laquelle l’ardeur de sa foi l’eût sans doute précipité. Ce lui en fut un autre, et plus grand encore, que d’avoir hérité de son père et de son grand-père un royaume puissant et respecté. Qu’on le suppose né au xiie siècle et obligé de monter à cheval pour combattre ses vassaux et pour batailler péniblement sur la frontière de Normandie avec le roi d’Angleterre, il n’eut sans doute été qu’un Louis le Pieux quelconque, car il n’était ni grand politique, ni grand homme de guerre. Il n’était qu’un homme de bien, et les vertus qu’il n’eût pu manifester s’il avait été contraint de lutter pour le pouvoir, se déployèrent à l’aise grâce à la possession de la force qui lui permit l’accomplissement de son idéal. Il eut le bonheur de régner sur un royaume sans hérétiques et sans ennemis, et il lui fut réservé d’ennoblir, d’affermir et de compléter dans la paix ce qu’avait fait l’épée de ses devanciers.