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tous les membres sont liés entre eux par un commun amour pour le roi. Jeanne d’Arc devait être, deux siècles plus tard, l’incomparable expression de cet amour. Mais cet amour, c’est Saint Louis qui l’a inspiré le premier aux Français, si indélébile qu’il a passé à tous ses successeurs.

La paix et la justice qu’il voulut faire régner parmi ses sujets, furent aussi la règle constante de la politique de Saint Louis. Il eût pu, avec les plus grandes chances de succès, arracher au roi d’Angleterre le dernier reste de ses possessions continentales, et au roi d’Aragon les fiefs qu’il détenait en Languedoc. Il leur offrit à tous deux, malgré l’avis de ses conseillers, des arrangements amiables. Par le Traité d’Abbeville (1259), il reconnut à Henri III la propriété du Périgord et du Limousin, moyennant l’abandon des prétentions anglaises sur la Normandie, l’Anjou, la Touraine, le Maine et le Poitou réunis à la couronne par Philippe Auguste. Par celui de Corbeil, il obtint de Jayme II d’Aragon ses territoires languedociens au prix de la cession de la suzeraineté française sur la Catalogne (1258)[1]. Sa conduite, durant le furieux conflit du pape et de Frédéric II ne se départit pas d’une neutralité qui chez un fils aussi soumis de l’Église, peut passer pour un blâme discret des violences d’Innocent IV. La confiance qu’inspirait son équité lui valut au dehors un prestige politique d’autant plus solide qu’il ne le recherchait pas. Dans les Pays-Bas, les d’Avesnes et les Dampierre le prirent pour arbitre dans leur longue querelle ; en Angleterre, Henri III et les barons révoltés lui soumirent leur différend.

Mais pour lui comme pour les grands scolastiques de son temps, si la guerre entre les chrétiens est toujours un malheur et souvent un crime, elle s’impose en revanche contre l’infidèle. L’ardeur de sa foi était trop vive et sa sincérité trop entière pour qu’il ne considérât pas comme le premier de ses devoirs de tâcher de reconquérir le tombeau du Christ. Les calculs ou les intérêts qui, de plus en plus, détournaient ses contemporains de la Croisade, n’avaient aucun prix pour cet idéaliste. Pour lui, comme pour les papes, elle restait l’honneur et l’affaire essentielle de la chrétienté. Son entourage avait beau lui en représenter les dangers, les dépenses, l’inutilité et l’échec à peu près certain, leurs raisonnements ne pouvaient

  1. L’Aragon ne conserva au nord des Pyrénees que le comté de Roussillon et Montpellier.