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nalement leurs leçons. Ils adaptèrent l’art nouveau aux matériaux dont ils disposaient, le modifièrent au gré de leur génie propre, l’harmonisèrent dans une certaine mesure avec les traditions de leurs patries. Il y a un gothique anglais et un gothique allemande comme il y a un gothique espagnol et un gothique italien. Mais tous sont fils directs du gothique français et aucun d’eux n’a atteint à la maîtrise de leur père. Les cathédrales de France le cèdent à celles d’autres pays pour la grandeur des proportions, la fantaisie du décor, le luxe ou l’éclat des matériaux ; elles restent incomparables pour l’harmonie et la majesté : ce sont les Parthénons du gothique.

L’hégémonie de la France dans le domaine de la littérature et de l’art aux xiie etxiiie siècles s’explique très simplement par la, supériorité de la civilisation française. Il n’en est plus tout à fait de même pour son hégémonie scientifique qui a frappé bien davantage les contemporains. Ici, en effet, on abandonne la vie nationale pour la vie cléricale. Toute la science du Moyen Age, si l’on en excepte en partie le droit et la médecine, est ecclésiastique, et la langue dont elle se sert exclusivement est le latin. Elle est essentiellement universelle, internationale. Et pourtant, c’est en France, ou pour être plus exact, à Paris que s’en trouve le foyer central. Les deux sciences cardinales de l’époque, celles qui règnent sur toutes les autres et s’imposent à elles, la théologie et la philosophie semblent, depuis le xiie siècle, avoir élu domicile au bord de la Seine. C’est là que s’est formée la méthode scolastique qui, jusqu’à la Renaissance, a dominé aussi complètement la pensée que le style gothique dominait l’art. C’est là que les nécessités de l’enseignement ont créé un latin nouveau, empruntant sa syntaxe au français, langue sèche, impersonnelle, mais incomparablement claire et précise et à laquelle les railleries des humanistes n’ont pas enlevé la gloire d’avoir été durant trois siècles la langue, non seulement écrite, mais parlée des gens instruits dans toute l’Europe. Depuis Abélard jusqu’à Gerson, il n’est pas un penseur de marque qui n’ait, sinon enseigné, du moins étudié à Paris. L’Université qui, dès le règne de Philippe Auguste, s’y est formée par la réunion des maîtres et des élèves des diverses écoles de la ville, a exercé jusqu’aux extrémités du monde catholique une attraction irrésistible et qui est restée sans exemple. Jean d’Osnabrück, à la fin du xiiie siècle, donne à la France le monopole de la science ; le poète flamand Van Maerlant la célèbre comme le pays par excellence de