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l’avènement des Carolingiens. Le roi, d’ailleurs, ne tient son pouvoir que de lui-même sans aucune intervention de l’Église. Il est, comme l’empereur, un souverain absolu, dégagé de toute tutelle populaire, car si les armées germaniques se sont réunies parfois en conventus, rien cependant ne rappelle l’ancienne Assemblée du peuple.

Enfin, les États nouveaux – et c’est là un point essentiel – conservent une organisation fiscale et un trésor considérable. Le fisc possède des ressources immenses : le domaine impérial avec ses villas, ses forêts, ses mines, ses ports et ses routes, son trésor d’or monnayé, le rendement des impôts qui, quoique diminuant de jour en jour, demeure longtemps encore considérable.

L’administration financière, avec ses bureaux et ses livres, reste savante et trouve toujours pour se recruter – quoique de plus en plus difficilement – des laïcs instruits à la romaine.

Les disponibilités financières des rois barbares furent, jusqu’à la décadence mérovingienne, beaucoup plus considérables que ne le seront celles d’aucun État occidental jusqu’à la fin du xiiie siècle.

Ces royaumes ne sont pas seulement romains parce que la civilisation romaine leur a donné des cadres dans lesquels, et grâce auxquels, ils ont pu se former, mais aussi parce qu’ils veulent être romains. Le roi parle de son palatium, de son fiscus, donne à ses fonctionnaires des titres empruntés à la hiérarchie constantinienne, fait imiter par sa chancellerie le formulaire et le style des édits impériaux. En Italie, Théodoric prend Cassiodore comme premier ministre, protège longtemps Boèce, relève les aqueducs dans la campagne de Rome, donne des jeux dans le cirque et construit à Ravenne, en pur style byzantin, Saint-Apollinaire et Saint-Vital. Les rois vandales, les rois wisigoths l’imitent de leur mieux, et il n’est pas jusqu’aux fils de Clovis qui ne se fassent gloire de protéger le pauvre poète Venantius Fortunatus, qui est venu chercher fortune à leur cour.

Il subsiste, d’autre part, une classe cultivée et ce sont des juristes romains qui codifient, pour les rois barbares, les lois germaniques et romaines de leurs sujets. Certes le niveau des écoles laïques tombe très bas, et sauf en Italie, on n’en compte plus que quelques rares qui végètent. Elles sont en partie compensées par les écoles religieuses qui se créent à côté des églises et, bientôt, des monastères.

Quoiqu’il en soit, quelque décadence grave que subissent la culture et l’instruction sous les rois mérovingiens, ceux-ci disposent toujours de fonctionnaires lettrés.