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enlève successivement à l’Empire byzantin chacune de ses provinces qu’il attaque : la Syrie (634-636), l’Égypte (640-642), l’Afrique (698), l’Espagne (711). Les Wisigoths avaient repris l’Espagne aux Byzantins. Leur dernier roi Roderich disparaît à la bataille de Cadix (711).

La marche envahissante ne prendra fin qu’au commencement du viiie siècle, quand le grand mouvement par lequel il menace l’Europe des deux côtés à la fois aura échoué sous les murs de Constantinople (717) et devant les soldats de Charles Martel dans la plaine de Poitiers (732). Alors il s’arrête. Sa première force d’expansion est épuisée, mais elle a suffi à changer la face de la terre. Partout où il a passé, les vieux États qui poussaient leurs racines au plus profond des siècles ont été arrachés comme par un cyclone ; l’ordre traditionnel de l’histoire est bouleversé. C’en est fait de ce vieil Empire perse, héritier de l’Assyrie et de Babylone ; de ces régions hellénisées de l’Asie qui ont constitué l’Empire d’Alexandre le Grand et ont continué depuis à graviter dans l’orbite de l’Europe ; de cette antique Égypte dont le passé se conservait encore sous la couche grecque qui le recouvrait depuis les Ptolémées ; de ces provinces africaines conquises jadis par Rome sur Carthage. Tout cela désormais est soumis à l’obédience religieuse et politique du potentat le plus puissant qui ait jamais existé, le khalife de Bagdad.

Et tout cela est l’œuvre d’un peuple de nomades, resté jusqu’alors à peu près inconnu dans des déserts pierreux, méprisé par tous les conquérants et comptant infiniment moins d’habitants que la Germanie. Mais ce peuple vient d’être converti par un prophète sorti de son sein. Il vient de briser ses vieilles idoles pour passer brusquement au monothéisme le plus pur qui soit, et il a de ses devoirs envers Dieu une conception d’une simplicité redoutable : obéir à Allah et contraindre les infidèles à lui obéir. La guerre sainte devient pour lui une obligation morale qui porte en elle-même sa récompense. Les guerriers tombés les armes à la main jouiront des béatitudes du paradis. Pour les autres, le butin des riches courtiers, qui de toutes parts entourent la pauvre Arabie, sera le prix légitime de l’apostolat militaire. On ne peut douter que le fanatisme, ou si l’on préfère l’enthousiasme religieux, n’ait été le ressort qui a lancé les Musulmans sur le monde. Entre les invasions de ces sectaires qui se mettent en mouvement en invoquant Allah et celles des Germains qui ne sortent de chez eux que pour acquérir