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latine, devant lesquelles avaient disparu depuis si longtemps les vieux idiomes nationaux des côtes de Syrie, d’Afrique et d’Espagne.

C’est en ces deux éléments, la religion et la langue, que consiste l’apport arabe dans la civilisation musulmane. Pour le reste, si brillante qu’elle ait été pendant les premiers siècles de l’Islam, elle est, à tout prendre, peu originale. Les peuples vaincus étaient tous plus policés que leurs vainqueurs nomades et ceux-ci leur empruntèrent de toutes mains. Ils traduisirent les œuvres de leurs savants et de leurs philosophes, s’inspirèrent de leur art, s’assimilèrent leurs procédés agricoles, commerciaux et industriels. L’étendue et la diversité des pays et des nations sur lesquels ils dominaient les ouvrirent à quantité d’influences qui se mélangèrent les unes aux autres et firent de la civilisation musulmane quelque chose de très nuancé, mais sans grande profondeur. De ces influences, celle de l’hellénisme rivalisa avec celle de la Perse. On ne peut s’en étonner si l’on songe que les Arabes occupaient justement les parties les plus riches et les plus peuplées du monde grec d’alors, l’Égypte et la Syrie. Leur architecture donne une idée assez exacte de la variété et de l’importance relative de leurs emprunts. On y rencontre dans la décoration des caractères venant évidemment de la Perse ou de l’Inde, mais la conception générale et les membres essentiels du monument n’en trahissent pas moins une parenté évidente avec l’architecture byzantine. La prédominance grecque se manifeste davantage encore dans le domaine de la pensée. Aristote est le maître des philosophes arabes, qui d’ailleurs n’y ont rien ajouté d’essentiel. En somme, dans l’ordre intellectuel, la civilisation musulmane n’a pas exercé d’influence profonde sur les peuples européens et cela s’explique très simplement et par ce qu’il y a chez elle d’artificiel, et par le fait que les sources auxquelles elle a surtout puisé étaient pour la plupart des sources européennes.

Il n’en va pas de même si on l’envisage du côté économique. Ici, les Arabes ont été, grâce à leur contact tout à la fois avec l’Occident et l’Extrême-Orient, des intermédiaires précieux. De l’Inde, ils ont transporté la canne à sucre en Sicile et en Afrique, le riz en Sicile et en Espagne (d’où les Espagnols l’apporteront en Italie aux xve-xvie siècles), le coton en Sicile et en Afrique ; ils ont acclimaté en Asie la fabrication de la soie que les Chinois leur ont apprise ; c’est d’eux encore qu’ils ont connu et répandu le papier, sans lequel l’invention de l’imprimerie serait restée