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« race germanique » et qui appartient en réalité à tous les barbares.

Arrivés dans la plaine du Danube en conquérants, ils soumirent et réduisirent en servage la population slave du pays. Il n’y a là rien qui puisse être attribué à leur race. Les Lombards avaient agi exactement de même au viie siècle, dans la Gaule cisalpine. Seulement, moins civilisés que leurs vaincus, les Lombards furent rapidement latinisés par eux, tandis que les Hongrois, en contact avec des sujets qui n’étaient pas plus avancés qu’eux-mêmes, conservèrent sans peine leur nationalité et restèrent au milieu d’eux le peuple dominant. Comme chez toutes les nations agricoles, une noblesse de magnats ne tarda pas à se former. Du reste, et pour les mêmes motifs qu’en Bohême et en Pologne, le système féodal ne s’introduisit pas en Hongrie. Lorsque Étienne Ier (997-1038) eût réussi à faire disparaître les princes qui jusqu’alors s’étaient partagé le pays et eût pris, avec la couronne que lui envoya le pape Silvestre, le titre de roi, ces magnats furent nécessairement associés à l’exercice du pouvoir monarchique. En 1222, ils arrachaient au roi André II une Bulle d’Or qui consacrait leur situation politique et leur reconnaissait le droit de se réunir chaque aimée à Stuhlweissenburg avec les évêques, ainsi que celui de se révolter en cas de violation de leurs privilèges. Cette bulle d’or est presque contemporaine de la Grande Charte d’Angleterre. Combien le contraste que présentent les deux textes est instructif ! En Angleterre, derrière la noblesse se rangent le clergé et la bourgeoisie, et la loi que la couronne est obligée d’accepter est une loi vraiment nationale. En Hongrie, au contraire, c’est une caste qui stipule pour elle et qui, dans la mesure même où elle sauvegarde ses intérêts, leur sacrifie le reste du peuple.

Il en eût été autrement sans doute, si la Hongrie avait possédé une bourgeoisie. Mais comme ces autres tard venus, la Bohême et la Pologne, elle reste attardée dans un état économique purement agricole. De même que chez eux, les seuls bourgeois qu’elle possède depuis le xiie siècle sont des immigrés allemands qui demeurent étrangers au milieu de la nation et que les privilèges que les rois leur ont accordés achèvent de détacher d’elle. Peut-être la conquête de la Dalmatie, accomplie au commencement du xiie siècle, et qui assurait à la Hongrie un débouché sur l’Adriatique eut-elle pu a la longue, par Spalato et Zara, susciter à l’intérieur du pays un mouvement commercial qui y eût fait naître une population urbaine. Mais il eût fallu pour cela vivre en paix, or le contact du