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tissent, c’est, comme les Francs après le baptême de Clovis, à l’exemple de leurs rois qui, par intérêt politique et imitation des mœurs romaines, passent au christianisme : l’Église n’y est pour rien. Quant aux Germains qui, au nord de la Gaule et de l’autre côté du Rhin, conservent leur vieux culte national, elle ne prend vis-à-vis d’eux aucune mesure d’évangélisation. Les apôtres des Francs Saliens, Saint Amand et Saint Remacle agissent par enthousiasme personnel. Les rois ont soutenu leurs efforts, mais on ne voit pas qu’il en ait été de même des autorités ecclésiastiques. Le désintéressement de celles-ci est tel en matière d’apostolat qu’elles ont laissé aux étrangers l’œuvre qui leur incombait. Introduit en Irlande au ive siècle, le christianisme s’y était rapidement développé. Il s’était donné, dans cette île lointaine et sans rapports avec le continent, une organisation originale dans laquelle de grandes colonies monastiques constituaient les foyers d’une vie religieuse très ardente. On y trouvait en quantité des ascètes et des prosélytes qui, dès le vie siècle, allèrent chercher loin de leur patrie, les uns des solitudes inaccessibles, les autres des âmes à convertir. Lorsque les Normands découvrirent l’Islande au ixe siècle, ils furent étonnés de n’y trouver comme habitants, sur ses rivages brumeux, que des moines venus d’Irlande. Ce furent encore des Irlandais qui s’adonnèrent avec enthousiasme à la conversion de la Gaule du nord et de la Germanie. L’hagiographie des temps mérovingiens fourmille de saints auxquels se rapporte la fondation d’une foule de monastères de la France du nord et de la Belgique. Saint Colomban et Saint Gall sont les représentants les plus célèbres de ces missionnaires dont la culture intellectuelle, le désintéressement et l’enthousiasme contrastent tristement avec la grossièreté du clergé mérovingien. Ils ne purent, au reste, le tirer de son apathie. Les évêques, nommés par les clercs des diocèses, mais en réalité imposés par les rois, ne devaient presque toujours leur siège qu’à la faveur du souverain. Il faut avoir lu les portraits que retrace Grégoire de Tours de plusieurs de ses collègues pour se faire une idée de leur savoir et de leurs mœurs. Bon nombre d’entre eux savaient à peine lire et s’adonnaient publiquement à l’ivrognerie ou à la débauche. L’honnête Grégoire s’en indigne, mais on ne sent que trop à son langage que son indignation ne rencontrait guère d’écho. Lui-même, d’ailleurs, bien supérieur certainement à la majorité de ses collègues, quel exemple ne nous fournit-il pas de la décadence de l’Église !