Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 432 —

gentleman des Temps Modernes. Les privilèges de la naissance lui paraissent absurdes, mais elle n’en revendique qu’avec plus d’énergie les privilèges de la culture de l’esprit. Son point de vue se rapproche assez sensiblement en ceci du point de vue antique. Dans ce sens, le discours de Rousseau sur les arts et les lettres détruisant l’égalité, est une protestation contre la société telle que l’a faite la Renaissance. L’opposition de l’homme libre et de l’esclave, elle la rétablit entre le lettré et l’illettré. Elle n’a que mépris pour les « professions mécaniques », et c’est d’elle que date le préjugé, encore vivant aujourd’hui, en faveur des professions libérales. Sans doute, elle est responsable en grande partie de l’indifférence pour le sort des classes populaires qui caractérise les Temps Modernes. Les idées morales y ont eu sûrement autant de part que les intérêts économiques des propriétaires fonciers et des capitalistes.

A envisager les choses de haut, il est certain que la société, telle qu’elle s’est développée depuis les débuts du xvie siècle sous l’influence de la Renaissance, présente un spectacle moins grandiose que celle du Moyen Age, dominée, instruite, inspirée par l’Église, avec sa hiérarchie de classes se répartissant le travail social, subordonnant l’individu à la communauté dont il est membre, s’inspirant chacune de la même foi religieuse et du même idéal chrétien. Mais quoi ? L’incessant travail de la vie avait miné les assises du majestueux édifice ; il penchait de tous côtés dès la fin du xive siècle, et la Renaissance n’a fait qu’en hâter l’inévitable ruine. L’unité organique qui fera défaut au monde moderne, sera compensée d’ailleurs par le mouvement prodigieux que provoque et qu’entretient l’affranchissement de la pensée et de l’action. Pour apprécier équitablement la Renaissance, il ne faut pas oublier que, durant trois siècles, l’art et la littérature de tous les peuples se sont développés dans la direction où elle s’est engagée. C’est à elle qu’on arrive en en remontant le cours. On pourrait comparer notre civilisation à un fleuve navigable seulement depuis le point où l’affluent de l’Antiquité est venu mêler ses eaux aux siennes. Sans doute le fleuve vient de beaucoup plus haut mais ses régions supérieures ne nous sont que difficilement accessibles ; il faut faire effort pour s’y engager et s’accoutumer à leur aspect pour le comprendre. Ce n’est guère que depuis un siècle que le Moyen Age a cessé d’être un objet de dédain. Mais en dépit de la réaction qui s’est opérée en sa faveur, il est trop éloigné de nous pour que nous puissions le mêler à notre vie d’une manière vraiment intime. Le néo-go-