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Europe, qu’avec les civilisations décadentes du khalifat de Bagdad et de l’Empire byzantin trop faibles pour s’imposer à leurs vainqueurs. D’autre part, l’organisation purement militaire de l’État a empêché chez eux le progrès social. Mais comme un tel État est improductif, il ne peut se maintenir que par la conquête. Il s’épuise dès que la guerre cesse de lui procurer les ressources qu’il est incapable de produire lui-même. Il doit s’agrandir toujours, se soumettre toujours de nouveaux tributaires pour pouvoir subvenir à son entretien. Le désordre des finances, l’oppression fiscale avec toutes leurs conséquences politiques, économiques et morales, se sont abattus sur la Turquie depuis que son expansion s’est arrêtée. Sans doute, elle a eu encore par instant des sursauts de vigueur. Mais à l’envisager d’ensemble, son histoire depuis la mort de Soliman II est celle d’un incurable déclin. Elle aurait depuis longtemps disparu du nombre des États si les puissances européennes n’avaient sauvegardé son existence faute d’entente sur le partage de ses dépouilles. L’admirable situation qu’elle occupe sur les détroits lui a donné une importance internationale qui l’à préservée du sort de la Pologne. L’Europe a toléré l’attentat commis contre un peuple chrétien ; elle n’a pas encore réussi à expulser les envahisseurs musulmans dont la présence sur son sol est un malheur et une honte pour la civilisation. Il est étonnant de penser que les Maures industrieux et inoffensifs du royaume de Grenade ont été refoulés en Afrique à la fin du xve siècle et que les Turcs sont encore à Constantinople en 1918. Faute de pouvoir les expulser, on s’est peu à peu accoutumé à leur présence et sans cesser de les considérer comme des intrus, on a fini par leur faire place dans la communauté européenne. Bien plus ! on a été de bonne heure jusqu’à les mêler à des querelles. François Ier n’a-t-il pas recherché contre Charles-Quint l’appui de Soliman II ?

Cette alliance, si monstrueuse à première vue, n’est qu’une des conséquences du bouleversement politique de la chrétienté depuis le milieu du xve siècle.

La Guerre de cent ans, en prenant fin, avait laissé la France et l’Angleterre dans des situations bien différentes. En Angleterre, la lutte éclata presque tout de suite entre les maisons d’York et de Lancastre, et pendant que la noblesse se massacrait sur les champs de bataille et qu’à travers des perfidies, des crimes et des meurtres abominables, Edouard IV, Henri VI, Édouard V et Richard III arrivaient au trône ou en étaient précipités, le pays dut renoncer,