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Baigné par les flots au sud, au nord et à l’ouest, l’Empire carolingien ne présente plus la moindre trace d’activité maritime. Ses seuls ports, Quentovic, à l’embouchure de la Canche, et Duurstede, conserveront encore une certaine activité commerciale jusqu’au ixe siècle, puis dévastés par les Normands, ils tomberont dans une décadence complète. À partir du viiie siècle, l’Europe occidentale vécut pendant trois cents ans, coupée de tous pays d’outremer.

Il devait en résulter un arrêt presque total du commerce et, à part quelques industries locales, comme celles du tissage des draps qui se maintint encore en Flandre, une disparition presque complète de l’activité industrielle et de la circulation monétaire.

Dès lors, dans les cités dépeuplées, les quartiers déserts tombent en ruine et servent de carrières de pierres aux rares habitants qui, groupés en un coin de l’ancienne enceinte, s’y retranchent et s’y abritent, en utilisant les matériaux que leur fournissent les monuments abandonnés. À Nîmes, les murs du cirque romain servent de remparts à la bourgade qui niche au milieu des décombres. À Trèves, une fenêtre de l’ancien palais impérial, accommodée tant bien que mal à la défense, devient une des portes de la ville, et la porta nigra, dont les blocs de pierre sont trop lourds pour être emportés, est dépouillée, pour servir au forgeron local, des crampons de fer qui les rattachent les uns aux autres. Même en Italie, où pourtant la décadence est moins profonde, elle ne laisse pas d’être lamentable. Rome est comme perdue au milieu de l’immense circuit que dessine, autour de ce qui reste d’elle, le mur d’Aurélien. Il faut que le pape Léon, pour la mettre à l’abri d’un coup de main, fasse enclore en 848 (cité Léonine) les parties habitées de la rive gauche du Tibre, et transforme en forteresse le tombeau de l’empereur Adrien.

En Gaule, la vie urbaine s’éteint si complètement que les rois cessent de résider dans les villes où le manque absolu de transit ne leur permet plus de trouver les approvisionnements suffisants à l’entretien de leur cour. Ils passent désormais l’année dans leurs domaines, allant de l’un à l’autre au fur et à mesure qu’ils en ont vidé les granges et les greniers. Et comme les rois, les fonctionnaires des provinces vivent aussi à la campagne sur leurs terres ou sur celles de leurs administrés auxquels ils imposent à leur profit le droit de gîte. Par un curieux phénomène de régression, l’administration, en perdant son caractère urbain, de sédentaire qu’elle était, devient nomade.