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cle dans la France du nord, et dont les textes aprocryphes forgés avec assez d’habileté donnent au pape sur le corps entier de l’épiscopat une puissance qu’il n’avait jamais exercée en fait jusqu’alors, contribuèrent encore à affermir la primauté de Rome. Nicolas voulut même la faire reconnaître par l’Église orientale et lança l’excommunication contre le patriarche Photius, sans autre résultat que d’aggraver encore le conflit qui allait s’envenimant sans cesse entre les deux moitiés de la chrétienté, la grecque et la latine.

La mort de Louis II (875) fournit à la papauté une nouvelle occasion d’affirmer sa supériorité sur l’Empire et de montrer qu’il dépendait d’elle et non de la dynastie. Louis n’ayant pas d’enfant, son plus proche parent mâle était Carloman, fils de Louis le Germanique et il l’avait désigné comme son héritier. Jean VIII (872-882) en décida autrement, appela Charles le Chauve à Rome et le couronna.

Depuis le milieu du ixe siècle, l’ascendant du pape n’avait donc cessé de l’emporter sur celui de l’empereur. Mais cet ascendant n’avait pu s’exercer que parce que les empereurs y avaient consenti. Par lui-même, le pape réduit à la possession de son petit État romain, eût été absolument incapable de résister à la moindre agression. Bien plus, l’autorité dont il jouissait et dont il venait de donner des preuves si éclatantes, il la devait en somme à ces Carolingiens qu’il couronnait et qui, en retour, lui accordaient leur protection. Situation paradoxale s’il en fût que celle qui ne permettait au pape de dominer l’empereur que pour autant que l’empereur garantissait sa liberté, qui ne laissait la puissance spirituelle l’emporter sur le pouvoir laïque que grâce à l’appui qu’elle en recevait. Or l’anarchie politique dans laquelle l’Europe glisse de plus en plus rapidement à la fin du ixe siècle, enlève tout à coup au pape ce protecteur indispensable. Charles le Chauve est le dernier empereur qui ait encore joui d’un prestige et d’une force réels. Après lui, sous la poussée irrésistible de la féodalité, sous les coups des Normands, des Sarrasins, des Slaves et des Hongrois, sous l’influence du particularisme régional, sous l’action des ambitions, des intrigues et des rivalités personnelles, ce qui subsistait encore de l’ordre carolingien s’effondra et les princes, qu’ils s’appellent rois ou empereurs, sont également impuissants. Dès lors, Rome est abandonnée à son sort et la papauté se voit tout à coup en présence de périls bien plus grands que ceux qui l’avaient menacée jadis au temps des Lombards. Car si les Lombards