Page:Pirenne - Un contraste économique, Mérovingiens et Carolingiens, 1923.djvu/13

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fabrication des monnaies, échoue devant l’impossibilité d’assurer aux deniers sortis des ateliers royaux une circulation suffisamment étendue. En l’absence de centres d’attraction assez puissants pour attirer de loin la monnaie, elle stagne, pour ainsi dire, en ses lieux d’émission. À partir du milieu du ixe siècle, elle devient locale, et les concessions se multiplient qui autorisent les évêques, les abbés et les comtes à adjoindre un atelier monétaires à ces petits marchés dont nous parlions tout à l’heure[1].

Me trompé-je en accordant à cette dernière constatation une valeur décisive ? N’établit-elle pas de façon irrécusable le contraste qui présentent, à les envisager du point de vue économique, l’époque carolingienne et l’époque mérovingienne ? Celle-ci, en dépit de sa grossièreté ou si l’on veut de sa barbarie, se rattache encore à l’économie générale du monde méditerranéen ; elle en conserve tous les caractères essentiels et sa monnaie d’or n’est que la conséquence et le symbole de la tradition qu’elle prolonge. Celle-là, au contraire, nous fournit par sa monnaie d’argent la preuve qu’une période nouvelle a commencé. La grande navigation s’est arrêtée, le grand commerce s’est éteint. L’agriculture, et une agriculture sans débouchés, règne à leur place. Plus de circulation, plus de classe marchande, plus de population municipale. La société s’immobilise dans des cadres locaux où se développent ensemble le système domanial et le système féodal. Ainsi, bien loin que la monarchie franque ait suivi depuis ses débuts une voie rectiligne, son histoire se divise en deux parties tellement distinctes qu’elles présentent une véritable opposition. L’une est encore romaine et méditerranéenne, l’autre a cessé de l’être. Et s’il en est ainsi, n’est-ce point parce que, entre l’une et l’autre, se place l’invasion de l’Islam ?

13 février 1923.

H. Pirenne.
  1. Prou, op. cit., p. LXI et suiv.