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Page:Piron - Poésies badines et facétieuses, 1800.djvu/119

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L’ÉCORCHURE.

CONTE.

Annette et le berger Étienne,
Tous deux d’amour épris,
Passaient et les jours et les nuits,
À l’ombre des forêts, à parler de leur peine ;
Lui, sans certain plaisir, ne pouvait être heureux.
Le devoir s’opposait à ce qu’il voulait d’elle,
Et tous deux embrasés d’une ardeur mutuelle,
Ils vivaient tous deux malheureux.
Un soir, fatal à la vertu d’Annette,
Étienne la pressait, l’œil pétillant d’ardeur ;
Son heure étant venue, une langueur secrète,
Dont la bergère encore ignorait la douceur,
Coule insensiblement jusqu’au fond de son cœur :
« — Dieu ! que vos lois sont inhumaines !
Quel penchant donnez-vous, pour des plaisirs si doux ?
— Dit-elle. — Je me rends : Étienne ! vengez-vous
De mes rigueurs et de vos peines… »
Le berger aussitôt, dévoré d’appétit,
Prend le bout du lacet, ce reste de machine
Que sans nommer, chacun devine :
Le bout était trop gros ou le trou trop petit.
La belle crie : il pousse ; à la fin il engaîne ;
Mais, hélas ! par malheur, d’effort le pauvre Étienne
S’écorche en un endroit, peu distant du nombril.
Étienne, une heure après, riant avec Annette,
Vit cet endroit sanglant. « Je suis perdu, — dit-il,
C’est fait de moi. J’en tiens. Il court, s’inquiète,