Page:Planck - Initiations à la physique, trad. du Plessis de Grenédan, 1941.djvu/123

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laplacien. Alors seulement se trouve réalisé cet éloignement, ce minimum de distance entre le sujet connaissant et l’objet à explorer que requiert inflexiblement, nous l’avons démontré plus haut en termes exprès, l’exercice complet de l’investigation causale. Plus cet éloignement est réduit, c’est-à-dire plus le moment est prématuré où nous nous mettons à considérer nos expériences antérieures, moins il nous devient possible de nous observer parfaitement nous-mêmes ; et, quand l’activité qui tend à connaître fait déjà partie elle-même de celle qui doit être étudiée, toute considération causale devient entièrement caduque et même tout à fait dénuée de sens.

Ainsi donc, s’écrieront bien des désillusionnés, notre moi n’est affranchi qu’en apparence, et grâce à notre insuffisance intellectuelle, des chaînes de la causalité ? Rien ne serait plus à contre-sens que de telles expressions. Elles seraient tout aussi injustifiées que si l’on venait dire que le plus agile des athlètes ne peut pas distancer son ombre à la course parce qu’il ne peut pas remuer les pieds assez vite. Non l’impossibilité de soumettre à la loi de causalité notre moi propre et actuel tient à quelque chose de beaucoup plus profond, elle est d’origine logique et de même nature que le principe déjà rappelé par moi que la partie ne peut jamais être plus grande que le tout. À ce principe, la plus haute intelligence, un esprit laplacien même, est soumis. Encore qu’un tel esprit puisse en effet considérer d’une manière parfaitement causale les plus géniales créations d’un cerveau humain, son art refuserait aussitôt, s’il venait à déchoir jusque-là, d’appliquer la loi de causalité à sa propre activité intellectuelle. Je l’avoue : qu’un être placé au-dessus de nous en sagesse de toute la hauteur du ciel et capable de pénétrer du regard tous les replis de notre cerveau, tous les battements de notre cœur, reconnaisse nos pensées et nos actes comme conditionnés causalement, il faut nous y résigner ; mais il n’y a là nul abaissement du sentiment que nous avons de nous-mêmes. Acceptons de partager ce point de vue avec les croyants des religions les plus hautes. Pour autant que nous assumons nous-mêmes, par contre, le rôle de sujet connaissant, il nous faut renoncer à tout jugement purement causal de notre moi actuel. C’est donc là que le libre arbitre s’intro-