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LE BANQUET.

n’était la crainte de vous paraître totalement ivre, je vous attesterais avec serment l’effet extraordinaire que ses discours [215e] m’ont fait et me font encore. En l’écoutant, je sens palpiter mon cœur plus fortement que si j’étais agité de la manie dansante des corybantes, ses paroles font couler mes larmes, et j’en vois un grand nombre d’autres ressentir les mêmes émotions. Périclès et nos autres bons orateurs, quand je les ai entendus, m’ont paru sans doute éloquents, mais sans me faire éprouver rien de semblable ; toute mon âme n’était point bouleversée ; elle ne s’indignait point contre elle-même de se sentir dans un honteux esclavage, tandis qu’auprès du Marsyas que voilà, [216a] je me suis souvent trouvé ému au point de penser qu’à vivre comme je fais ce n’est pas la peine de vivre. Tu ne saurais, Socrate, nier qu’il en soit ainsi, et je suis sûr qu’en ce moment même, si je me mettais à t’écouter, je n’y tiendrais pas davantage, et que j’éprouverais les mêmes impressions. C’est un homme qui me force de reconnaître que, manquant moi-même de bien des choses essentielles, je néglige mes propres affaires pour me charger de celles des Athéniens. Il me faut donc malgré moi m’enfuir bien vite en me bouchant les oreilles comme pour échapper aux