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ÉPINOMIS.

rir de la chair les uns des autres, et leur apprit à faire de la chair des animaux un usage légitime. J’en demande pardon aux hommes de ces siècles reculés ; mais ceux [975b] dont nous venons de parler ne sont point les sages que nous cherchons. Le procédé pour réduire en farine le blé ou l’orge et en faire un aliment, quoique beau et utile en lui-même, ne fera jamais de son inventeur un sage accompli ; le mot même de procédé n’exprime autre chose que la difficulté de ce qui s’est fait. Il en faut dire à peu près autant de toute espèce d’agriculture. Car ce n’est point par art, mais naturellement et par inspiration divine qu’il semble que les hommes se soient portés à cultiver la terre. La construction des maisons et toute l’architecture, l’art de travailler toutes sortes de [975c] meubles, en airain, en bois, en argile, par forme de tissu, et encore de fabriquer des outils de toute espèce ; ces divers procédés sont sans doute utiles à la société, mais ne se rapportent pas à la vertu. Pareillement l’art de la chasse, qui embrasse tant d’objets et suppose tant d’industrie, ne donne ni la grandeur d’âme ni la sagesse, non plus que l’art des devins et des interprètes ; ils conçoivent uniquement le sens de leurs paroles, mais ils en ignorent la vérité. Nous avons vu jusqu’ici l’art opérer l’acquisition de [975d] ce qui est nécessaire à la vie, sans que dans aucun cas il rende sage celui qui l’exerce : il nous reste à considérer les arts de pur agrément, dont la plupart sont imitatifs, et n’ont rien de sérieux. Ils imitent au moyen d’une foule d’instruments, ils donnent au corps différentes attitudes qui ne sont pas tout à fait décentes. Ceux-ci emploient la prose ou toute espèce de vers ; ceux-là sont enfants du dessin et expriment une infinité de figures différentes avec des matières sèches ou molles. Aucun de ces arts d’imitation n’a fait naître la sagesse dans l’âme de ceux qui les ont cultivés avec