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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome I.djvu/152

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ALCIBIADE

de Xerxès, à Amestris : « Voici un homme qui se met en tête de rivaliser avec ton fils : c’est le fils de Dinomaché, d’une femme qui a pour cinquante mines de parure, tout au plus, et lui-même possède à Erchia un domaine de moins de 300 plèthres », elle se demanderait, toute surprise, sur quoi compte cet Alcibiade d qui prétend lutter avec Artaxerxès ; et probablement elle se dirait qu’il ne peut compter sans doute pour une telle entreprise que sur son application et son habileté, les seules choses dont les Grecs aient le droit de se prévaloir. Mais si elle venait à savoir que cet Alcibiade entreprend cela avant d’avoir tout à fait vingt ans, et qu’il est dénué de tout savoir, qu’en outre, lorsque celui qui l’aime lui dit qu’il doit d’abord s’instruire, se perfectionner, s’exercer avant d’entrer e en lutte avec le roi, il refuse et déclare qu’il a déjà tout ce qu’il faut, je m’imagine qu’elle serait ébahie et demanderait : « Mais enfin sur quoi compte donc ce petit jeune homme ? » Et alors, quand nous lui dirions que c’est sur sa beauté, sa taille, sa naissance, sa richesse, ses qualités naturelles, elle nous croirait fous, Alcibiade, en comparant ces avantages à ceux dont on jouit chez elle. De même, sans doute, Lampido, fille de Léotychidès, 124 femme d’Archidamos et mère d’Agis, qui tous ont été rois[1], s’étonnerait, elle aussi, en considérant les avantages des siens, de voir que tu te mets en tête d’entrer en lutte avec son fils, toi si médiocrement élevé. Vraiment, n’es-tu pas humilié de penser que les femmes chez nos ennemis jugent mieux de nous que nous-mêmes, savent mieux ce que nous devrions être pour nous en prendre à eux ?

Allons, trop naïf enfant, crois-moi, crois en ces mots inscrits à Delphes : « Connais-toi b toi-même », et sache que nos rivaux sont ceux-là et non ceux que tu penses ; rivaux sur lesquels nous ne pouvons remporter que par l’application et le savoir. Si tu n’acquiers pas ces deux choses, tu n’acquerras pas non plus de nom parmi les Grecs et les barbares ; et c’est pourtant là, si je ne me trompe, ce

  1. Il y a ici un de ces anachronismes qui ne sont pas rares chez Platon et auxquels il n’attachait sans doute aucune importance. Agis, fils d’Archidamos et de Lampide, ne devint roi qu’en 427 ou 426, quatre ans environ après la date supposée de ce dialogue.