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ALCIBIADE

Socrate. — Ce n’était pas ton avis tout à l’heure. Mais passons. En ce moment, c que dis-tu ? que, sans accord, il y a néanmoins amitié ? ou bien qu’il peut y avoir accord sur les choses que les uns savent et que les autres ignorent ?

Alcibiade. — C’est impossible.

Socrate. — Mais agit-on selon la justice ou injustement, lorsque chacun fait ce qui le regarde ?

Alcibiade. — Selon la justice, incontestablement.

Socrate. — Ainsi, lorsque les citoyens d’une ville agissent selon la justice, il n’y a pas amitié entre eux ?

Alcibiade. — Il me semble, Socrate, que c’est là une conséquence nécessaire.

Socrate. — Alors, qu’est-ce donc en somme que cette amitié ou cet accord dont tu parles et qui doivent être l’objet d de notre science ou de nos bons jugements, si nous voulons être des hommes de valeur ? Je n’arrive plus à comprendre ni ce qu’ils sont, ni chez qui on les trouve. Tantôt, d’après tes dires, elles m’apparaissent comme présentes, tantôt comme absentes, chez les mêmes sujets.

Alcibiade. — Par les dieux, Socrate, je ne sais plus moi-même ce que je dis ; et, vraiment, il se pourrait bien que j’aie vécu depuis longtemps dans un état d’ignorance honteuse sans m’en apercevoir.


On ne peut sortir de l’ignorance qu’en apprenant à se connaître soi‑même.

Socrate. — Ne t’en inquiète pas trop. Si cela t’arrive à cinquante ans, il te serait difficile d’y remédier en e prenant soin de toi-même ; au contraire, tu es justement à l’âge où il faut s’en apercevoir.

Alcibiade. — Et, lorsqu’on s’en aperçoit, que faut-il faire, Socrate ?

Socrate. — Répondre aux questions, Alcibiade. En le faisant, si les dieux le veulent, je suis certain, — autant que je peux me fier à mes pressentiments, — que nous nous en trouverons mieux, toi et moi.

Alcibiade. — S’il suffit que je réponde, pas de difficulté de ma part.

Socrate. — En ce cas, dis-moi ce que c’est que prendre soin de soi-même, car il est à craindre que maintes fois, 128 tout en croyant le faire, nous ne le fassions pas. Quand un homme prend-il soin de lui-même ? En soignant ses affaires, se soigne-t-il lui-même ?