Socrate. — Ainsi, par la gymnastique, nous prenons soin de nos pieds ; par l’art du cordonnier, de ce qui appartient aux pieds.
Alcibiade. — C’est bien cela.
Socrate. — Par la gymnastique encore, de nos mains ; par l’art du graveur de bagues, de ce qui appartient aux mains.
Alcibiade. — Oui.
Socrate. — Par la gymnastique, en somme, de notre corps ; par le tissage et d autres arts, de ce qui appartient au corps.
Alcibiade. — C’est absolument vrai.
Socrate. — Donc, l’art par lequel nous prenons soin d’un objet quelconque n’est pas celui qui s’occupe de ce qui appartient à cet objet.
Alcibiade. — Cela est clair.
Socrate. — Concluons qu’en prenant soin de ce qui est à toi, tu ne prends pas pour cela soin de toi-même.
Alcibiade. — Nullement, en effet.
Socrate. — Car, nous venons de le voir, ce n’est pas par le même art que nous prenons soin de nous-mêmes et de ce qui est à nous.
Alcibiade. — La chose est manifeste.
Socrate. — Maintenant, quel est l’art par lequel nous pourrions prendre soin de nous-mêmes ?
Alcibiade. — Cela, je l’ignore.
Socrate. — En tout cas, nous sommes d’accord sur un point ; ce n’est pas par l’art e qui nous permettrait d’améliorer quelque chose de ce qui est à nous, mais par l’art qui nous améliorerait nous-mêmes.
Alcibiade. — Tu as raison.
Socrate. — D’autre part, aurions-nous pu reconnaître quel art améliore les chaussures, si nous ne savions pas ce que c’est que la chaussure ?
Alcibiade. — Impossible.
Socrate. — Ni quel art améliore les bagues, si nous ne savions pas ce que c’est qu’une bague ?
Alcibiade. — Non vraiment.
Socrate. — Alors, l’art de se rendre soi-même meilleur, pourrions-nous le connaître, sans savoir ce que nous sommes ?